[Narration : Lucie]
En l'espace d'une heure, le ciel d'été était devenu désespérément orageux. Il ne pleuvait pas mais au loin, on pouvait entendre les coups de tonnerre et voir la foudre passer à travers les nuages. Il y avait dans l'air quelque chose de déprimant. Peut-être était-ce dû aux immeubles placardés de publicités criardes et sans âme. Déambuler dans cette atmosphère pesante me donnait la sensation de faire partie du monde de Big Brother, de n'avoir aucune identité.
Cela aurait été oublier que j'étais une étrangère, qui de surcroît cheminait aux côtés d'une asperge sportive à l'aspect croisé entre un punk et un basketteur.
Minoru marchait en regardant droit devant lui. Il m'avait fait peur, celui-là ! Quel idiot ! S'il n'y avait eu Kensei... Minoru avait tout pour lui. Il était intelligent, amusant, courageux, loyal, protecteur, franc-jeu et charmant. Même s'il avait besoin de se sentir important aux yeux des autres, on pouvait lui confier toute mission : qu'il en soit la vedette ou non lui importait peu.
Il ne resterait pas seul longtemps : Sumiho-la-Sangsue l'avait en ligne de mire.
Après que nous eûmes dépassé le quartier Namba, Minoru, les mains largement enfoncées dans ses poches, se racla la gorge.
« Tes amis en France te manquent, non ? Tu dois en avoir beaucoup.
Je me mordis l'intérieur des joues.
— Oui, ils me manquent. Les vrais. Il doit y en avoir trois.
— C'est tout ? s'exclama Minoru. J'croyais que...
— Il est très facile de se faire des amis, moins de les garder.
— Mmmh... Je vois.
— Ça m'a fait du bien de les revoir, avouai-je, même pour peu de temps.
— Et les autres ? Si tu n'as que trois amis, t'as des potes, non ?
Je baissai la tête.
— T'es vachement plus renfermée que ce que je pensais, s'étonna-t-il sans méchanceté.
Je pris une grande inspiration :
— C'est très simple de se séparer des gens pour toujours. Parfois, un voyage seul y suffit.
— C'est pour ça que quand tu trouves quelqu'un que tu veux garder, tu fais tout p...
Je m'immobilisai sur la passerelle en fer que nous traversions, non loin de la ligne de métro.
— Je déteste ça !
— Ça quoi ?
— Ça ! criai-je en pointant le pont.
— Tu ne pourras rien y changer ».
Les deuxièmes années Naoki, Shôji et Okito s'amusaient à déshabiller un salaryman. De notre point de vue, nous voyions distinctement les étudiants s'acharner sur le pauvre homme qu'ils avaient encoublé. À présent, ils balançaient ses vêtements du haut du pont, qui atterrissaient un à un dans le canal. Je sortis mon portable pour appeler la police mais Minoru me le prit des mains et le brandit en l'air pour le mettre hors de ma portée.
Je ne comptai pas sauter comme une gamine pour le récupérer.
— Arrête ! Qu'est-ce que tu fais ? » grognai-je en tendant ma paume grande ouverte pour qu'il me le rende.
L'Opossum transgénique ne me rendit pas mon portable.
Il traversa l'autre moitié de la passerelle en courant.
VOUS LISEZ
Octopus - Tome 2 : La Pieuvre a huit bras
General FictionDans ce deuxième tome, les liens entre les nintaïens et Lucie se fortifient, ce qui suscite l'inquiétude de certains. Alors que sa vision du Japon change progressivement, les rivalités au sein de l'établissement Nintaï s'intensifient. Lucie est écar...