Wake up

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Il fixa pendant un moment les valises qui gisaient dans l'entrée étroite. Sa mère n'allait pas tarder à repartir et Jin ne pouvait s'empêcher de se faire du souci. Il revint dans la cuisine après s'être assuré que tous les volets étaient ouverts et il la vit, là, en train de manger en silence une mixture aux allures douteuses.

Un bout d'algue pendait mollement entre ses baguettes qu'elle levait avec une lenteur extrême. Un autre morceau dépassait du bol et le jeune homme grimaça en voyant une gouttelette verdâtre s'apprêter à tomber sur sa belle table propre.

— Maman, l'appela-t-il doucement.

Elle releva le nez de son petit déjeuner et planta ses yeux fatigués dans les siens. Pas un mot, elle l'écoutait. Pour l'instant du moins, car s'il s'attardait trop, elle retournerait à son activité. Mais face à ce regard-là, il ne pouvait parler. Cette discussion, ils l'avaient eue tant de fois. En réalité, ils l'avaient à chaque fois que sa mère devait repartir. Jamais elle n'avait cédé à ses supplications – ou ses caprices selon elle – Jin ne savait plus quoi faire pour se faire entendre. Elle avait toujours été têtue, et visiblement l'âge n'arrangeait rien.

Elle se désintéressa de lui et se concentra à nouveau sur ses gestes méthodiques pour économiser le maximum d'énergie. Jamais de gestes brusques, bien mâcher, puis avaler délicatement. A chaque bouchée, il sentait son courage s'envoler un peu plus. Ne pas exister, c'était l'impression qui lui restait à chaque fois que sa mère l'ignorait ainsi. Au fond, il avait l'habitude, ça faisait plus d'une dizaine d'années que c'était ainsi, quinze ans plus exactement.

Après un soupir résigné, il se tourna pour quitter la pièce mais la voix de sa mère l'interrompit.

— Seokjin.

Il grimaça en entendant son nom complet. Il n'y avait qu'elle pour l'appeler ainsi, même ses collègues l'appelaient Jin. Pour son patron, c'était monsieur Kim – et généralement il y avait au moins trois autres personnes qui se retournaient en même temps que lui : deux serveurs et parfois un ou deux clients. Pour Namjoon, c'était Jin-hyung. Et pour son père c'était Jinjin. La simple pensée de ce surnom lui redonna le sourire parce qu'il avait toujours été le seul et l'unique à le nommer de cette manière-là, personne, personne ne l'avait jamais appelé comme cela à part lui.

— Seokjin, insista-t-elle faiblement.

Sa voix n'était plus aussi forte qu'avant mais elle perçait le silence de la pièce avec violence. Il déglutit en la détaillant et voulut reculer. Il se souvenait de ce ton agacé et même s'il ne lui avait jamais été personnellement adressé jusqu'à maintenant, il lui faisait le même effet qu'avant.

— J'ai vidé sa chambre.

Silence pesant et Jin recula sans s'en rendre compte.

— Il y avait tellement de poussière. Tout en était imprégné.

L'odeur d'algue qui émanait du bol le faisait suffoquer.

— Après tout, on n'y a plus touché depuis cinq ans.

Le léger rire qu'elle eut le fit sursauter.

— J'ai tout vidé. Je n'ai pas eu le cœur de me débarrasser de tout. J'ai mis ce qui reste dans une valise. Elle est dans le salon. Tu verras avec Namjoon-ah ce que vous en ferez, hein ?

Il eut seulement la force de hocher la tête, et le sourire qui étira les lèvres de sa mère le désarçonna. Il savait cependant qu'il ne lui était pas adressé, il ne le lui avait jamais été adressé. Comme s'il ne le méritait pas.

Sauve-toi [Namgi]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant