Ce corps chaud ne lui était pas familier, les courbes de cette femme s'écrasaient contre lui, ses os s'enfonçaient dans sa peau et ses cheveux lui chatouillaient désagréablement le cou. Il se retint de respirer un court instant, plongea sa main dans la poche arrière de son jean sans rien y trouver. On lui avait tout retiré, même son paquet de chewing-gum à la menthe. Yoongi laissa échapper un soupir, ferma les paupières et attendit.
Il attendit.
Et attendit.
Et attendit.
Il écouta le silence. Compta les secondes.
Patienta.
— Tu m'as manqué. Tu m'as tellement manqué.
Sa voix était si douce et tendre que le jeune homme hésita à répéter les mots, lui aussi.
Il ne prononça rien.
Attendit.
Quinze secondes défilèrent encore avant que les bras ne se desserrent d'autour de lui. Il sentit les doigts s'attarder sur ses côtes, retracer ses os puis caresser sa joue avant de s'éloigner.
Yoongi rouvrit les yeux, la tête relevée vers la lumière. Il faisait gris autour de lui. Dehors, il faisait beau, bleu, frais. L'automne, cependant, ne passait pas dans ce bâtiment-là. Entre les barreaux, c'était la chaleur oppressante de l'été ou la froideur grelottante de l'hiver.
Ici, Yoongi ne voyait ni les arbres ni la nature ni la vie, il ne voyait que les murs.
Le garçon s'assit face à sa mère comme il l'avait fait tant de fois
Un an, onze ans ou vingt-et-un ans ne changeaient rien. Yoongi ne changeait pas, sa mère ne changeait pas, le temps s'était figé et ici, rien n'évoluait.
Elle prit doucement ses mains entre les siennes, les serra, souhaita ne jamais les lâcher alors qu'elle savait si bien qu'il ne restait encore que quelques minutes.
Je vais partir, voulut lui rappeler Yoongi. Il allait partir, et peut-être ne jamais revenir. Un jour, le 'au revoir' deviendrait un 'adieu'.
Il mâchouilla l'intérieur de sa joue comme il aimait mâchouiller les feuilles de menthe que faisait pousser son grand père.
Il allait partir. Il allait fermer les yeux sur ces passages obligés. Il allait les oublier. Papa. Maman. Deux visages, deux ombres, deux mots.
En plongeant ses yeux dans ceux de cette femme, il se remémorait ses peurs enfantines et ses cauchemars de cette pièce grise. Il se souvenait de la crainte qu'il ressentait lorsqu'une lettre de la prison arrivait à la maison et que sa grand-mère se baissait à sa hauteur pour lui chuchoter que ses parents l'attendaient.
La frayeur n'était jamais partie car en fixant les mains qui encloisonnaient les siennes, il savait ce qu'elles avaient fait. La femme qui lui souriait tendrement était celle qui chantait dans l'oreille de ses victimes. Ses parents, en duo, avaient fait un cœur et avaient entonné de douces berceuses.
Chantage sur chantage, dans leur euphorie et en plongeant leurs doigts dans les billets, ils n'avaient senti les menottes que trop tard se refermer sur eux.
Ces mains qui maintenaient ses mains. Ces mains, qu'avaient donc fait ces mains ? Ses mains, qu'avaient donc fait ses mains ? Le crime coulait dans son sang, ses veines semblaient gorgées de celui des autres.
Sa mère n'avait pas tué. Elle avait chanté.
Son père n'avait pas tué. Il avait chanté.
Pourtant, lorsque Yoongi avait été assez grand pour comprendre, la sensation de leurs mains sur les siennes était devenue chaude et poisseuse, puis séchaient les souvenirs des victimes sur sa peau.
En sortant de cette pièce, il laverait ses paumes, ses doigts et ses ongles jusqu'à ce qu'ils se teintent de rouge. Eau brûlante ou griffures profondes, la couleur n'était pas écarlate mais carmin.
Quand vint le moment de se séparer, elle se mit à pleurer et à s'excuser.
Elle était si désolée d'être une mauvaise mère. Elle était si désolée de ne pas l'avoir vu grandir. Elle était si désolée de tant de choses que la porte claqua avant que Yoongi ne puisse en entendre davantage.
Il suivit le gardien vers la salle où étaient placés tous ses effets personnels. Portable, clés, chewing-gum, montre et la lettre de confirmation de demande de parloir. Il descendit des escaliers, traversa des couloirs puis fut conduit dans l'autre secteur.
Il déposa tous ses objets dans un bac, on le fouilla puis le gardien lui fit signe de le suivre. La pièce dans laquelle il pénétra était similaire à celle qu'il avait quittée mais, sur la chaise, de l'autre côté de la table, se tenait son géniteur.
— Seize ans, murmura-t-il quand la porte se verrouilla au départ du garde.
Adolescent assis face à son père, en effet, il avait seize ans la dernière fois qu'ils s'étaient vus.
Entre eux deux, l'homme avait les paumes face au plafond, comme s'il attendait que Yoongi les recouvre. Le garçon retraça seulement du bout de son index la ligne de vie sur les mains du cinquantenaire. Il ne croisa pas son regard car il savait qu'il y trouverait du reproche.
Pendant cinq ans, le fils n'avait pas osé rendre visite à ses parents. Pendant cinq ans, il avait craint de poser les pieds dans ces lieux ternes et familiers. Pendant cinq ans, il avait pourtant senti les murs gris l'emprisonner.
Dans ses rêves, il était dans une cage et les oiseaux étaient ses codétenus. Dans ses rêves, il était dans la forêt et les arbres étaient ses barreaux. Dans ses rêves, il était chez lui et sa chambre était sa cellule.
Dans la réalité, ses mains étaient tachées. Dans la réalité, ses doigts creusaient la terre. Dans la réalité, il suffoquait dans l'air.
Dans ses cauchemars, il y avait des souvenirs. Dans ses cauchemars, il y avait des rires. Dans ses cauchemars, il n'y avait plus rien.
Quand Yoongi fermait les yeux, les cauchemars, la réalité, les rêves et les cinq années défilaient, s'enroulaient autour de sa gorge et, pendu à une branche, il fixait ses parents.
Pourquoi avait-il l'impression que toute sa vie n'avait tenu qu'à un fil ?
— Je me suis toujours demandé, murmura l'enfant. Je me suis toujours demandé ce que ça faisait d'avoir vu la mort.
Leurs regards se croisèrent, mais celui de son papa était vide. Les voyait-il désormais, les visages de ces hauts-fonctionnaires que lui et sa femme avaient fait chanter jusqu'à la mort ? Yoongi espérait que dans ses yeux, c'était à du remord qu'il assistait.
Le gardien déverrouilla la porte et sonna la fin. Le jeune homme se leva, fit quelques pas, se retourna et observa la silhouette qui restait figée malgré les années.
Le crâne chauve sur lequel brûlait la lumière, les yeux noirs dans lesquels brillaient le regret, le visage paternel qui lui hurlait adieu.

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Sauve-toi [Namgi]
FanfictionLorsque Namjoon était parti, il s'était résolu à tout quitter. Yoongi n'avait plus rien à faire là. Il n'était plus son meilleur ami, il n'était plus rien pour lui. Non. Namjoon ne voulait pas le revoir, ne voulait plus ressentir les souvenirs s'ama...