Namjoon ne savait pas pourquoi il sortait. Le temps avait passé et, cette nuit-là comme la précédente, il s'était réveillé dans le noir avec cette envie pressante de se balancer sous les étoiles. Cependant, lorsqu'il s'approcha du parc, quelque chose détonna - ou peut-être que tout était normal.
Le grincement de la balançoire lui arracha presque un sourire et à travers les ombres, une silhouette se distinguait. Namjoon avança plus rapidement, comme s'il avait rajeuni et l'excitation dans son ventre le rendit fébrile. Au loin, la neige tomba d'un toit dans un grand bruit mou. Il n'avait plus vingt ans et ils n'étaient plus des adultes.
Pour cette nuit, il pouvait oublier l'automne sous l'hiver.
Namjoon balaya la couche neigeuse d'un coup de gant puis s'assit sur la planche en bois. Elle sembla prête à craquer sous son poids mais il n'avait pas peur. Il n'était plus l'enfant trouillard d'il y a cinq ans. Il était-
Yoongi fit grincer sa balançoire, comme pour attirer son attention ; Namjoon n'osa pas se tourner vers lui. Il fit la sourde oreille, même quand les chaînes gémirent pendant de longues minutes. Au loin, une chouette poussa un cri, une autre lui répondit et le vent se mit à hurler bien plus fort entre les entrailles de la forêt.
Namjoon sentit le froid sur ses joues et s'infiltrer dans son cou. Il ferma les yeux, tenta d'imaginer un autre paysage, une autre situation et Yoongi chuchota :
— Je pensais pas que tu viendrais.
Mais Namjoon écouta sa propre respiration résonner dans le parc silencieux. C'était peut-être ça qui lui avait toujours semblé si étrange : le village était le point mort au milieu de la forêt. Les bruits que l'on entendait venaient toujours de loin.
Namjoon se souvint d'une nuit d'hiver où le froid les avait forcés à rentrer à la maison. Ils avaient tâché d'être les plus discrets possibles mais grand-père Min était levé et les attendait. Il ne les avait pas réprimandés, ne leur avait pas demandé d'explications, leur avait simplement fait un thé à la menthe.
Namjoon sentait encore le goût sur le bout de sa langue et la chaleur se répandre dans sa gorge. La lumière douce de la cuisine teinta sa vision d'orange, l'apaisant étrangement. Les années n'effaçaient que peu de choses. Il se rappelait très bien comment Yoongi avait gardé la tête baissée et avait obéi lorsque le vieil homme leur avait conseillé de prendre une douche chaude. Frigorifiés, ils s'étaient réfugiés sous le jet d'eau et Yoongi l'avait étreint, ne l'avait pas lâché, avait murmuré "je suis content d'être ici" et Namjoon n'avait rien dit mais avait resserré sa prise autour de son meilleur ami. Il n'avait pas besoin de mot pour savoir qu'il était heureux. Il n'aurait jamais pensé, à cette époque, que le village pouvait être synonyme d'autre chose que de joie.
Ce Namjoon-là était insouciant et vivait la vie au jour le jour sans penser à l'avenir. Il ne voyait pas plus loin qu'au delà des montagnes.
Mais Namjoon avait changé et quand il regardait le ciel désormais, il découvrait l'infini, une peur bien réelle et un destin inconnu. Derrière les masses sombres des crêtes, il savait qu'il y avait quelque chose qui pourrait à tout moment dévaler les pentes pour le renverser lui et tous ses maigres espoirs.
Pourquoi était-il revenu ici ?
Pour redécouvrir son passé piégé dans la vallée ? Au fond, il ressemblait aux saisons : Namjoon avait vécu des été joyeux, des printemps amusants, des hivers rigoureux mais l'automne ne s'était jamais réellement terminé.
Les barres métalliques du tourniquet brillaient d'une lueur douce mais la planche ronde était enfouie et Namjoon sentit ses joues brûler de froid. Il remonta son écharpe devant son nez, redescendit son bonnet et commença à donner des petits coups de pied dans la neige.
— Pourquoi tu leur as pas dit ? murmura-t-il au bout d'un moment.
Le silence lui répondit mais Yoongi respira plus bruyamment. Namjoon lui jeta un coup d'œil pour le découvrir la tête baissée et le dos vouté à observer ses bottes, comme s'il y avait quelque chose d'intéressant à voir.
— Dit quoi ? A qui ?
Sa voix n'était pas plus forte que la sienne mais Namjoon crut y percevoir de l'ennui - de la fatigue ? Il ne savait plus rien discerner.
— Ta grand-mère. Pourquoi tu lui as pas dit qu'on se parlait plus ?
Les cheveux de Yoongi apparaissaient blancs et tombaient devant ses yeux ; Namjoon fut cependant certain qu'il le regardait de biais.
— Je savais pas.
L'ainé hésita alors que Namjoon attendait la suite.
— J'étais pas sûr.
Namjoon enfonça davantage sa botte dans la neige, comme pour atteindre la terre qu'ils avaient tant foulée. Il ne savait pas vraiment quoi dire. Yoongi n'était pas sûr. Pas sûr de quoi ? Qu'ils ne se parlaient plus ?
— Enfin, continua le plus âgé en se redressant, j'ai fini par le comprendre quand on s'est revus à la résidence.
Namjoon fixa son profil sans pouvoir se détourner.
— Tu croyais que j'allais être content de te revoir ?
Et là, il sut que ses mots avaient touché juste. Yoongi détourna le visage pour l'empêcher de voir sa lèvre tremblante. Namjoon aurait vraiment aimé pouvoir mettre cette réaction sur le compte du froid mais l'ainé eut du mal à déglutir, garda le silence un moment et malgré son gros manteau, sa poitrine était prise de soubresauts.
Namjoon planta son talon, poussa, agrandit le trou mais n'atteignit pas le fond.
— T'espérais encore ? Même si je n'ai jamais répondu à tes lettres ?
Il vit quelque chose briller dans les yeux de Yoongi. Ce n'était pas des larmes. Ça ne pouvait pas être des larmes. Namjoon détourna le regard pour scruter le tourniquet à moitié enfoui. Il avait toujours détesté ce jeu quand il était petit. Ça tournait si vite que ça lui donnait mal à la tête et au ventre et même les rires heureux de son meilleur ami n'arrivaient pas à le détendre.
C'était loin tout ça et maintenant que le vent s'était calmé, on n'entendit plus que la respiration étouffée de Yoongi dans le silence. Namjoon abaissa davantage son bonnet sur ses oreilles puis se releva lentement.
Il aurait préféré ne rien entendre, ne pas sentir cette impuissance ni ce remord, pouvoir simplement ignorer les contractions dans sa poitrine. Ce n'était pas de sa faute, ce n'était pas lui qui avait causé tout ça, ce n'était pas à lui de ressentir ce sentiment, Namjoon n'avait rien fait.
Il entama un pas mais même le broiement de la neige ne couvrit pas les sons de Yoongi. Et il essaya de s'éloigner plus vite, de ne pas penser aux lettres restées closes dans un tiroir, de ne pas voir ce que les mots pouvaient provoquer.
La voix de Yoongi l'arrêta et son ton voulut le blesser mais Namjoon ferma les yeux, prit une grande inspiration et continua à fuir.
— Si tu les avais lues tu saurais que mon grand-père est mort.

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Sauve-toi [Namgi]
Fiksi PenggemarLorsque Namjoon était parti, il s'était résolu à tout quitter. Yoongi n'avait plus rien à faire là. Il n'était plus son meilleur ami, il n'était plus rien pour lui. Non. Namjoon ne voulait pas le revoir, ne voulait plus ressentir les souvenirs s'ama...