Sauve-toi [Namgi]

The Last

Yoongi n'était pas sorti de sa maison depuis deux semaines alors quand la lumière du jour atteignit ses yeux fatigués, il resta ébloui un long moment. Mais ses jambes connaissaient bien le chemin et le transportèrent là où il devait se rendre.

Bientôt, il ne vit que ses pieds avancer malgré lui. Les sons lui parvinrent à peine. Il était encore tôt mais la forêt s'était éveillée - n'avait peut-être jamais dormi - et le piaffement lointain des animaux accompagna tout son trajet.

Il changea un peu sa route, préférant suivre le goudron et rester dans le village le plus longtemps possible. C'était silencieux, comme inhabité, et il ne croisa que quelques chats qui s'enfuirent sur son passage. Dans la région, on disait souvent qu'il ne fallait pas les suivre car ils vous menaient toujours là où vous ne devriez pas être. Yoongi, pourtant, les suivit du regard, sentit son corps comme attiré par leurs pas mais leur silhouette disparut et l'enchantement s'envola.

Il ne fallait pas suivre les chats.

Yoongi reprit sa route. De chaque côté, les champs somnolaient, vides et à peine cultivés. Plus loin, les montagnes semblaient avoir grandi. Lui qui avait l'habitude de respirer cette odeur de pin et d'essayer de deviner les chants d'oiseau avant d'aller à l'école, désormais il voulait simplement partir le plus vite possible. Lentement, il souleva ses bras et vint poser ses mains sur ses oreilles.

Il écouta le silence de ses paumes et le grondement de son cœur. Au loin, il entendit ses pas heurter le sol, comme ceux d'un ogre trop gros. Et même s'il n'avait rien avalé, son ventre ballotta, lourd de peurs, d'angoisse et de culpabilité.

Yoongi s'étouffait et enfonça ses ongles dans son crâne. Cette douleur étrange lui fit du bien, comme si elle parvenait à apaiser l'inapaisable. A travers ses doigts, il savait que le chant de la forêt tentait de l'appeler mais il ne flancha pas et écrasa davantage ses oreilles.

L'arrêt de bus n'était composé que d'un poteau sur lequel on avait accroché les horaires. Yoongi ne les avait jamais respectés ; il se levait très tard et voulait profiter de l'atmosphère matinale mais par dessus tout : il détestait la ville. On ne la voyait même pas au bout de la route et si on ne la voyait pas, elle n'existait pas. Parfois, il avait l'impression que sa vie était bloquée dans la vallée ; ça ne l'avait pourtant jamais dérangé.

Il resta seul un bon moment, planté à côté du poteau, comme un jumeau. Puis des rires lui parvinrent et il se rendit compte que des enfants étaient arrivés, s'amassèrent, grouillèrent et Yoongi plaqua ses mains contre ses oreilles une nouvelle fois. Son cœur se mit à battre contre ses tympans ; ça faisait du bien de s'entendre, d'oublier les autres et de perdre une partie de soi-même. Qui était Yoongi ? Pas lui. Plus lui. Le bus apparut, il cligna des yeux et ses fesses se posèrent sur un siège tout au fond.

La vitre était rayée : Taetae était gravé.

Yoongi passa plusieurs fois le doigt dessus et chaque aspérité le glaça davantage. Il y avait des voix autour de lui, des rires, des blagues.

Tout était normal.

Tout allait bien.

Yoongi avait l'impression d'être réchauffé, comme s'il était entouré par deux personnes.

Et leurs souffles le firent trembler.

Il s'échappa du bus sans attendre, glissa entre les élèves, s'engouffra dans sa salle de classe et s'affaissa sur sa chaise. Sa voisine le fixa un moment avec cet air ahuri qu'il essaya d'ignorer. Le cours passa comme un songe, Yoongi n'arrivait pas à se concentrer. Il fit tomber son stylo, le ramassa, le refit tomber, finit par le laisser par terre. Sa trousse suivit le même chemin, s'éventra sur le sol, se vida de son contenu et une âme bien aimable vint l'aider à nettoyer le carnage.