Chapitre 14

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Ce matin, je n'ai pas croisé Louise durant mon footing

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Ce matin, je n'ai pas croisé Louise durant mon footing. A-t-elle emprunté un autre chemin ? A-t-elle couru avant ou après moi ? A-t-elle seulement couru ? Je deviens obsédé, c'est affligeant.

Depuis notre soirée, avant-hier, je n'ai eu aucun signe de vie de sa part. J'ai passé tout mon samedi à me torturer l'esprit, me demandant ce que j'ai pu faire de travers. Puis j'en suis venu à la conclusion qu'elle sait tout. Il faut que j'en ai la certitude.

Est-ce qu'aller chez Louise est une mauvaise idée ? Probablement, mais je n'ai pas d'autre choix. Je n'ai pas le courage de l'appeler, elle risquerait d'ignorer mon appel.

Après avoir sonné au portillon, un homme vient l'ouvrir, la quarantaine passée et une barbe claire. Il me toise de la tête aux pieds, et son regard froid me percute. C'est le père de Louise.

—  Julian.

En un an et demi, il n'a pas changé. Il reste le même que j'ai vu le soir de l'accident, lorsqu'il est venu après le coup de fil.

—  Je voudrais vous parler, monsieur Hampton.

Il me fait signe d'entrer et nous traversons une cour gravillonnée, où sont garées deux voitures, avant de monter les quelques marches qui mènent à la porte d'entrée.

J'atterris dans un vaste salon où se trouve une fille brune que je reconnais comme étant la sœur de Louise. Et leur mère, que je n'ai jamais oubliée. Elle était si dévastée, ce soir-là.

—  Monica, viens avec nous, s'il te plaît. Bianca, veille à ce que ta sœur ne descende pas.

Venir ici était vraiment une très mauvaise idée. La seule personne qui ne me regarde pas avec méfiance est la sœur de Louise. Elle m'adresse même un timide sourire avant de reporter son attention sur son téléphone. Déjà à l'hôpital, après l'accident, elle avait été la seule à venir me parler malgré ce qui était arrivé. Je n'ai jamais oublié sa gentillesse. J'espère simplement qu'elle ne dira pas à sa sœur qui je suis vraiment. Si Louise ne le sait pas encore.

Les parents me guident jusqu'à la cuisine, assez petite comparée à la nôtre. Le père de Louise ferme la porte derrière nous, tandis que la mère me fait asseoir autour de leur table, une tempête faisant rage dans ses yeux. Les mêmes que Louise.

—  Comment oses-tu venir ici ?

Elle a un léger accent lorsqu'elle parle français, au contraire des autres membres de sa famille. On dirait mon père.

—  Je viens éclaircir quelques points, déclaré-je en me râclant la gorge. Je vous demande juste de m'écouter. S'il vous plaît.

Le père s'installe à côté de sa femme, me donnant l'impression d'être en plein interrogatoire avec le gentil et le méchant flic. Manque plus qu'à savoir qui est qui.

—  Je fréquente la même fac que Louise, et on se... côtoie. Plus ou moins. Je sais que la situation est délicate mais je tiens à votre fille, je ne lui veux aucun mal.

—  Encore heureux ! s'offusque son père. Tu lui en as déjà fait. C'est pour cette raison que nous ne voulons pas que tu t'approches d'elle. Elle ne sait rien de toi, ni de ton père. Ni même que tu étais présent ce soir-là et tous les jours qui ont suivis jusqu'à son réveil.

—  Comment vous...

—  Comment je sais ? m'interrompt-il, bras croisés. Le personnel m'a dit que tu passais lorsque Lou était seule. Et tu étais là, le jour où elle s'est réveillée.

Je m'en rappelle comme si c'était hier. Je n'en croyais pas mes yeux. Cependant, je n'avais pas pu rester, les infirmiers m'ont fait quitter la pièce jusqu'à l'arrivée de sa famille qui m'a interdit de l'approcher de nouveau.

Je pouvais rester des heures avec Louise, après mes cours, à lui parler de tout et de rien. Je partais en pleurant à chaque fois tant j'avais peur qu'elle ne se réveille pas.

—  Pourquoi vous ne m'avez jamais interdit d'y aller, si ça vous dérangeait tant ? demandé-je, piqué au vif.

—  Ils ne me l'ont dit que lorsqu'elle est sortie. Elle ne sait pas qui tu es et ça doit en rester ainsi. Louise souffre déjà assez.

—  Mais je veux me rattraper, être là pour elle. Je veux tenir la promesse que je lui ai faite, ce soir-là.

—  Elle ne s'en rappelle même plus ! s'agace le père de Louise.

—  Harry, calmati.

Sa femme pose une main sur son épaule et il se calme dans l'instant. Elle semble avoir un effet apaisant sur son mari.

—  Notre fille est encore très fragile, Julian, intervient-elle d'une voix calme. Elle ne s'est jamais remise de cet accident. Lou ignore que ton père était le chauffeur de l'autre voiture. Comment crois-tu qu'elle réagira si elle l'apprend ? Ça la blessera, et toi aussi. Laisse-la tranquille, elle a besoin d'oublier cette soirée-là.

Ça me rend dingue que ses parents ne comprennent pas que leur fille a besoin de surmonter cet accident, pas de l'oublier.

—  Je suis le seul qui peut la comprendre parce que j'ai vécu la même chose qu'elle, ce soir-là.

—  Tu as eu la jambe broyée, Julian ? me demande Harry, l'air dur. As-tu perdu une amie ? Est-ce que tu es resté dans le coma pendant trois semaines, fait de la rééducation pendant des mois et vu une psy les six mois qui ont suivi ? Est-ce que tu fais des cauchemars qui réveillent tes parents et les rend malades ?

Il est au bord des larmes, tout comme sa femme, et je ne sais plus où me mettre. Il n'a pas tort, je n'ai pas connu tout ça mais j'en souffre, moi aussi.

—  Je n'ai pas vu de psy, ni eu besoin de rééducation parce que je n'avais rien de cassé, dis-je d'une voix que j'essaie de maîtriser. Je n'ai peut-être pas été dans le coma, mais depuis ce jour ma vie est un brouillard total. Je fais des cauchemars, moi aussi. Je revois cette scène, encore et encore, le corps sans vie de Salomé et la main de votre fille qui s'accroche désespérément à moi. Depuis un an et demi, je vis avec la culpabilité et le regret. Tous les matins depuis dix-huit mois, je me réveille en pensant à Louise, à son amie, à mon père et à ce que je leur ai fait. J'ai gâché leur vie, et je veux juste les réparer. Je sais que Salomé ne reviendra pas et que Louise ne sera plus comme avant, mais je suis convaincu qu'ensemble, on peut surmonter ça. Elle n'a pas à savoir qui je suis, si c'est ce que vous voulez. Je veux juste qu'elle revive.

Une larme m'échappe, mais je contrôle vite les autres qui veulent en faire de même. Pourquoi pleurer ? Ils ont déjà décidé que j'étais mauvais pour Louise.

—  Tiens.

La mère dépose un verre d'eau sous mes yeux que je bois d'une seule traite. Il faut que ce nœud dans ma gorge disparaisse.

—  Lou a passé une bonne soirée avec toi, vendredi. Elle n'arrête pas de sourire depuis, même si ça ne dure que quelques minutes. Alors si tu réussis à la faire sourire et lui faire oublier ce traumatisme, je n'y vois pas d'inconvénients. Mais ne lui dis rien, et ne la blesse pas. C'est tout ce qu'on te demande.

Le père quitte la cuisine, les poings serrés. Il n'a pas l'air ravi que sa femme ait pris cette décision, mais moi ça m'enchante. Pour peu, j'enlacerais Monica.

—  Elle est dans sa chambre, je vais l'appeler.

Je quitte la cuisine sur ses talons et tente de retrouver mon calme avant que Louise ne descende. Elle ne doit pas savoir que je suis chamboulé. Curieuse comme elle est, elle voudra savoir pourquoi.

Sous Les ÉtoilesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant