Adacie lança une série de codes à l'enseigne. Tranit se rapprocha du cadavre de l'animal. L'adjudant la rejoignit, très calme.
— Beaux réflexes. Quelle distance mon commandant ? Deux cents pas au moins.
— Sans doute. Mais avec une telle taille, c'était facile.
— Pas autant que vous le croyez mon commandant. Votre aide de camp a été rapide, mais bien moins que vous. J'ai bien vu de mon chariot.
Vous aviez vidé votre chargeur quand les autres ont commencé à riposter. C'est vous qui l'avez abattu.
Tranit le regarda, peu convaincue.
— Vous croyez ?
— J'en suis même certain. Vous ferez garder le crâne de l'animal, on y trouvera notre réponse.
Adacie revint près d'elle.
— Messages envoyés mon commandant. Je fais allumer des feux ?
— D'accord. Vois avec les cavaliers, qu'un peloton reste sur place avec nous pour attendre les renforts. Fais distribuer les vivres du chariot à ceux qui restent.
— À vos ordres.
Adacie rejoignit les cavaliers et discuta avec les officiers. Tranit s'approcha du chariot et regarda les hommes en sortir les deux blessés. Ils étaient inconscients, assommés par le saut du prédateur.
Le maître-armurier vint prendre congé, son travail ne lui laissait guère de temps libre, mais Adacie et bien d'autres remarquèrent que le salut qu'il adressait à Tranit était quelque peu différent des précédents. On y devinait une déférence certaine pour la jeune femme.
Lui, qui avait l'habitude de leur seigneur, de leur dieu vivant, semblait aussi reconnaître en elle la Tranit de légende. Il devait aussi avoir envie de raconter l'exploit auquel il venait d'assister. Les esprits allaient s'échauffer dans les unités et la rumeur s'amplifier.
Adacie souriait, certaine qu'elle venait de voir se réaliser le huitième couplet du chant de Tranit. C'était le troisième qu'elle voyait se réaliser en quatre jours, le quatrième même si elle se permettait d'y inclure leur rencontre.
Son cœur battait encore à une rythme effréné, mais ce n'était plus la peur, c'était l'admiration qu'elle éprouvait pour Tranit, qui se tenait bien droite sur son dorkis, la carabine toujours à la main et fouillant l'obscurité à la recherche d'un autre danger.
L'image même de la Tranit guerrière de la chanson. Le pire était qu'elle ne s'en rendait même pas compte, agissant avec un naturel incroyable, si naturel que beaucoup de gens ne le croiraient pas.
Des feux de broussailles s'allumèrent enfin pour entourer la scène du drame. Les cavaliers restants s'étaient répartis en petits groupes et tous profitaient des provisions du chariot détruit.
Les coupes en cuir que les hommes portaient avec eux en permanence furent remplies de bière tiède. Des exclamations appréciatrices surgirent d'un peu partout.
Adacie entendit quelqu'un fredonner les cinq notes qui trottaient dans sa tête depuis plusieurs jours, la-do dièse-do dièse-si-ré, du chant de Tranit, cherchant un couplet correspondant à la situation. Les discussions et les adaptations allaient fleurir.
Les paroles résonnaient d'elles-même dans la tête de la jeune fille :
Tranit imperturbable face à l'attaque lancée,
Du monstre de la nuit à sauvé son armée.
Brandissant assurée sa lance tonnerre,
Douze fois percée, la bête s'effondre à terre.
Il serait bien qu'Erwan fût là et lui raconte comment il ne croyait toujours pas aux légendes. Il avait une telle façon d'expliquer les choses. Mais cette fois-ci cela semblait si frappant.
Des cavaliers auprès desquels Adacie passa tentaient de se remémorer ce couplet. Elle les entendit rechercher la rime de tonnerre. Avant même leur retour, le chant serait sur toutes les lèvres. Tranit n'apprécierait peut-être pas totalement l'hommage.
Tranit passait près des hommes qui se taisaient à son approche mais la saluait chaleureusement, la bière aidant, et leur rappelait de bien garder l'œil ouvert. Les fouines étaient des chasseurs solitaires, mais d'autres pouvaient se trouver dans le coin.
Des « à vos ordres » joyeux se firent entendre, personne ne s'imaginait qu'avec elle dans le coin, un autre problème pouvait surgir. Adacie s'en amusa. Ces hommes-là ne se poseraient aucune question quand Tranit les enverrait se battre.
Tranit s'approcha de l'animal, une fouine mâle de belle taille comme elle l'avait pensé. Sa peau, ses poils allaient lui rapporter une belle somme. Avec son arbalète, Tranit n'aurait jamais pensé en venir si facilement à bout.
Elle aurait dû l'aveugler puis lui tirer directement au cœur, ce qui était bien plus facile à dire qu'à faire. Elle avait déjà tué une belette, mais l'animal était bien plus petit que celui-ci.
Peu de temps après, un chariot précédé de deux cavaliers arriva sur le champ de tir. Il portait cette croix rouge sur fond blanc, signe que Tranit avait vu sur le navire-hôpital. C'était donc l'antenne médicale de son unité.
Adacie le lui confirma.
— Le liaig Asèn, c'est lui qui supervise tous les druides médecins du régiment. Jeune mais efficace.
— Je ne l'ai pas rencontré l'autre soir ?
— Non, il était à bord du navire-hôpital.
Les hommes du chariot étaient déjà auprès des blessés que les cavaliers avaient installés à l'abri. Tranit n'avait pas vu de plaie ouverte mais un bras, une jambe cassée étaient envisageables.
Alors que les liaig emportaient les deux blessés sur des civières, leur chef vint rendre compte à Tranit. Il n'avait trouvé aucune fracture et pensait que les deux hommes reviendraient à eux dans le cours de la nuit.
Tranit le remercia pour sa diligence et le raccompagna à son chariot. Alors qu'il partait, d'autres chariots arrivaient à leur tour, des équipes de dépeceurs pour ne rien perdre de l'animal. Ses chairs seraient appréciées par les erkis de la cavalerie lourde.
Les hommes observèrent le cadavre de l'animal avant de se mettre à l'ouvrage, quelques verres de bière dans l'estomac.
Adacie suggéra à Tranit de rentrer, il n'y avait plus rien à faire. Elle pouvait laisser l'enseigne à la disposition du capitaine de cavalerie. D'autres cavaliers allaient venir, la prévôté qui devait faire un rapport sur l'accident.
Adacie expliqua rapidement la fonction du prévôt qui assurait la police dans les camps militaires. La fonction tournait entre les différentes unités. Tranit accepta et donna ses instructions. Malgré l'évènement, tout n'était pas fini pour elle.
Adacie devait lui expliquer encore pas mal de choses et devant aussi apprendre quelques techniques des milices pour mieux les comparer avec les siennes.
Tranit voulait vraiment se sentir prête le plus rapidement possible et pour cela, elle allait devoir mettre les bouchées doubles. Ce qu'Adacie considérait comme la concrétisation d'une légende, n'était à ses yeux qu'une perte de temps.
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Vixii
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Les Larmes de Tranit - 2
FantasyPour réaliser un exploit, peut-être est-il préférable de s'y préparer pour y survivre. Avec leurs manies tellement différentes, Tranit est un peu perdue dans ce nouvel univers, surtout avec une adjointe la dévorant des yeux et persuadée qu'elle est...