CHAPITRE QUARANTE-HUIT .1

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                 Peu après quatorze heures trente, le catamaran les déposait au port civil de Maubourguet. Les messages avaient déjà été envoyés à la guilde des marchands pyrénéens et des nouvelles en provenance de son régiment et de la maison forte annonçaient que la matinée s'était bien déroulée.

En débarquant sur le port, Tranit fut saisie par l'odeur prenante y régnant. Adacie et ses cavaliers y furent sensibles aussi. Les marins et Suwane, pas du tout.

La jeune femme aurait aimé passer à Outre-berge, mais devait tout faire pour trouver des chariots supplémentaires pour les techniciens d'Erwan et des essais qu'ils tentaient mener. Un marchand pyrénéen, séjournant dans la tour louée par sa guilde, lui apporta une belle quantité d'argent dans plusieurs sacs.

Tranit s'étonna de l'importance de la somme, mais le jeune homme la regarda comme si elle était une enfant.

— Vous verrez que bien des choses ont changé commandant. Les prix ont grimpé bien plus qu'on pouvait s'y attendre. La guerre coûte cher, avant même de commencer ! Ne circulez pas seule en ville, lui conseilla-t-il, les incidents sont assez nombreux maintenant.

Tranit remercia le jeune homme et se tourna vers Adacie.

— Tu as entendu ça ? J'aurais voulu que nous fassions plusieurs choses, mais à la réflexion, on reste tous ensemble. Répartis l'argent parmi tout le monde par sécurité et autorise le pistolet en cas d'attaque.

— J'ai l'habitude de ça commandant, la rassura Adacie. Je m'occupe de tout.

Adacie réunit les cavaliers puis s'organisa avec eux. Un peu plus tard, ils sortaient du port en occupant toute la largeur de la rue sur trois colonnes. Adacie était en tête de celle du milieu, suivie par Tranit, Suwane et l'enseigne.

De chaque côté, cinq cavaliers, la main sur l'épée. La petite troupe remonta une rue que Tranit aurait bien pu ne pas reconnaître tant elle était sale ! Elle comprit que l'odeur qui la gênait venait de cette saleté. C'était incompréhensible ! Cela faisait à peine quatre jours qu'elle était passée au même endroit pour y acheter son chariot. Qu'avait-il bien pu se passer ?

À chaque carrefour, un carcan avait été installé avec un ou deux punis d'attachés. Voleurs, bagarreurs, tous étaient fouettés en public, mais cela ne semblait plus servir à rien.

Tranit n'avait jamais rien vu de tel, mais Adacie lui expliqua ce qu'il en était. La présence de milliers d'hommes d'armes dans et autour de la ville créait d'abord une recrudescence du commerce et des activités favorites des gens de guerre : boisson, jeu, prostitution.

Mais après une ou deux décades, les fonds se faisaient rares, les restrictions apparaissaient, les vivres se faisaient plus chers. Une armée vivant sur l'habitant pouvait être finalement plus meurtrière qu'une troupe en campagne.

Erwan faisant vivre ses troupes de manières isolées, avec un système d'approvisionnement différent, les civils ne ressentaient presque pas cette situation. Au contraire, même ! Quant aux gens servants sous ses bannières, ils vivaient tous mieux que l'immense majorité de la population civile ou des autres troupes.

Mais dans la rue, les regards enragés contre tout ce qui était militaire faisaient comprendre à Tranit combien la guerre pouvait être néfaste. Après quelques hésitations, tant le paysage avait changé, ils parvinrent enfin au carrossier, celui-là même chez qui Tranit et Adacie avaient trouvé leur chariot.

Alors qu'à son précédent passage il ne lui restait plus grand-chose, sa cour était encombrée d'engins posés sur des blocs de bois. L'artisan était assis sur une chaise posée sur ce qui restait d'une élégante berline.

Il leva la main en signe d'interdiction en voyant les soldats entrer chez lui. Il était en colère !

— Non, j'ai payé la taxe de guerre ! Et j'ai plus de fils à faire enrôler !

Tranit s'avança, la main levée en signe de paix.

— Bien le bonjour, maître carrossier. Ton fils serait parti ?

— Hier ! Un recruteur l'a convaincu d'intégrer l'infanterie d'assaut de Maubourguet. Il a suffi d'une puterelle pour lui titiller la tige et il frétillait en signant son engagement !

— Il en reviendra ! déclara Tranit, amusée. C'est pas dans les montagnes que la charrerie va s'user ! Il va s'ennuyer à monter des gardes interminables, à chercher du ravitaillement.

Avant l'automne il sera de retour, bien bêta et effrayé que vous le chassiez !

Le marchand eut un semblant d'espoir dans la voix.

— C'est vrai ?

Tranit lui montra les cimes des Pyrénées, bien visibles à cette heure, malgré la distance.

— À moins que vous aplatissiez les sommets, je ne vois pas comment il pourra se faire du mal. Il prendra plus de coups à l'exercice qu'au combat.

L'artisan se leva péniblement.

— C'est que c'est mon seul gamin maintenant. Sa mère pleure depuis hier soir. Il regarda Tranit plus longuement. Vous êtes déjà venue ici ? Mais pas pour la taxe.

— Non, pas pour la taxe. Vous m'avez vendu un bon chariot aux quartz presque vides.

— Oui, dit-il en souriant, le montagnard. Deux jours après, j'en avais un autre pour presque deux fois moins cher. J'ai accepté plusieurs engins, mais je ne pensais pas manquer de liquidités. Maintenant, plus personne ne veut de voiture ni même la réparer.

— Oui, on m'a parlé des difficultés d'approvisionnement et des prix. Je reviens à peine en ville depuis mon passage chez vous, c'est incroyable.

— Et que puis-je pour vous ?

— Des chariots justement, j'en cherche !

— J'ai que ça ! J'en ai même trop !

— Des comme le mien ? Si vous avez encore des montagnards, je les prends, lui affirma la jeune femme.

— Non, j'ai refusé de prendre celui du marchand. Je ne sais pas où il est allé avec. Mais venez avec moi, j'en ai récupéré quelques-uns, un peu moins grands, mais de ceux que tout le monde voulait voici moins d'un mois.

Il entraîna Tranit derrière un groupe de quatre voitures de ville assez luxueuses et là se trouvaient six chariots marchands assez récents. Même leurs quartz semblaient en bon état. Tranit et Adacie mirent pied à terre pour les passer en revue. Elles regardèrent le carrossier, incrédules.

C'était exactement ce qu'elles cherchaient, c'était exactement le type de chariot qu'un seigneur prenait avec lui pour l'accompagner dans une expédition.

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Vixii

Les Larmes de Tranit - 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant