Le druide resta une nouvelle fois songeur.
— Je ne sais quoi répondre, Tranit. J'aimerais te faire plaisir, mais je devrais d'abord en parler avec Diarix. Mon amitié pour lui l'emporte sur les autres considérations. Accepter un poste pour les Montagnards pourrait le mettre dans une situation inconfortable.
— Je te comprends, père. Mais une fois que les troupes seront en mouvement, la situation sera plus normale. La maison forte restera sans doute sous juridiction de Louvie, du seigneur d'Asasp en fait, c'est son titre réel, mais le domaine pourrait être une terre libre. Il doit bien rester quelque chose du bois de Bourgfranc ? Quelques bosquets ?
— J'imagine. N'es-tu pas allée au bout du Sombrun ?
— Pas le temps ! Depuis dix jours, je n'ai eu qu'une ou deux journées normales. Trop de choses arrivent trop vite. Aujourd'hui devrait être une journée paisible.
Tu vois, depuis ce matin je n'ai eu affaire à aucune urgence ni dû sortir mes armes pour me battre.
— Heureuse ?
— D'avoir une journée normale ? Ou d'avoir une telle vie ? Les deux, père. Je suis contente de ce qui m'arrive.
— Soit ! Puisque c'est ce que tu souhaites. M'accompagneras-tu voir le seigneur Diarix ?
— Mon allégeance ne le gênera pas ? Mon escorte est de la même couleur que moi. Des gens risquent de parler.
— Tu n'auras pas besoin de le rencontrer. Juste m'accompagner et présenter tes respects. Je suis ton père. Il n'y a rien de mal à faire preuve de politesse.
Tranit approuva.
— Alors ce sera avec plaisir. Quand y vas-tu ?
— Dès que tu le veux, ma fille. Je ne suis astreint à aucun horaire, aucune obligation, hormis de rendre service à mes amis. Il montra les jeunes gens sous la tonnelle.
— Leur maître m'a demandé de parler de mon expérience à Outre-berge, comment un sencha pouvait s'en sortir comme brithem. Deux sont des apprentis liaig, un autre aedibus et le plus jeune sera certainement sencha comme moi.
Mais ici, ils pourront être amenés à séjourner dans des hameaux où ils rempliront aussi d'autres fonctions, comme celle de juge. Je me suis contenté de leur montrer que leurs connaissances pouvaient être appliquées dans d'autres situations.
— Tu as toujours aimé enseigner, je le sais.
— J'ai été plus chanceux avec ta sœur qu'avec toi. Toujours à courir et faire des bêtises avec ton amie Laumit ou les fils du meunier.
— J'aimais apprendre avec toi... j'étais moins patiente qu'Ilatrane, c'est tout.
— Moins patiente... oui, confirma le druide en gloussant malicieusement.
Itaïng s'approcha de ses élèves auxquels il donna congé après leur avoir demandé de finir le travail pour le lendemain.
Tranit lui reprit le bras pour traverser le manoir et revenir près de la tour. Le sergent envoya un homme chercher le dorkis du druide, un vieux mâle castré placide un peu déplumé.
Tranit passa derrière la tour et vit un petit chemin de terre battue descendre vers le ruisseau, une cinquantaine de toises plus bas. Elle vit son escorte au repos, trois cavaliers s'exerçant à l'épée avec l'arbalétrière désignée par le sous-officier, les autres vérifiant le plumage de leurs montures.
Adacie était plus loin, semblant dicter quelque chose à Suwane. En tout cas, la sentinelle qui gardait les yeux levés vers la tour l'aperçut et Tranit entendit distinctement un 10-25 pour Barcus unité dès qu'elle fit signe de la rejoindre. En quelques instants, tous les cavaliers se retrouvèrent en selle.
L'arbalétrière monta en croupe de Suwane et la petite troupe remonta au petit trot. L'enseigne commandant les chasseurs saluait déjà Tranit comme s'il s'agissait d'une inspection. La jeune femme récupéra sa monture qu'Adacie lui amena.
— Nous allons conduire mon père après du seigneur Diarix, à qui je présenterai mes respects, puis nous redescendrons.
Adacie salua cérémonieusement le druide pour l'ensemble de l'escorte, mais ne put s'empêcher d'ajouter.
— Nous sommes tous tellement fiers de servir votre fille. C'est un honneur permanent.
Itaïng répondit au salut, amusé.
— Un honneur permanent ? Elle ne passe pas son temps à se plaindre de la lenteur de ses subordonnées ?
La question déclencha un concert de protestations de son escorte et Adacie ne put s'empêcher d'énumérer toutes les « prouesses » qu'elle lui attribuait.
Tranit fit un petit signe d'au revoir au sergent, puis commanda le départ alors qu'Adacie parlait encore avec son père. L'arbalétrière monta sur un autre dorkis et vint à côté de Tranit.
— C'est moi qui en général conduis votre père. Il est tellement distrait par ce qu'il regarde qu'il ne se souvient jamais très bien du chemin à suivre, même si son dorkis connaît le domaine par cœur.
— Alors, conduisez-nous. Avec ce que mon adjointe a à lui raconter, il nous sera complètement inutile pour nous diriger.
Se calant sur sa monture, la plus lente, ils traversèrent le domaine par son centre, découvrant de nouvelles exploitations agricoles prospères, des bosquets bien entretenus.
La forteresse du seigneur était sur un vaste éperon rocheux pas très haut, mais suffisant pour surveiller efficacement sa rive ouest, du nord au sud. Plusieurs bâtiments avaient été ajoutés au château primitif, mais le donjon de pierre semblait bien solide et vaillant.
Un bourg actif s'était développé autour. Tranit reconnut des tours de hauts fourneaux qu'elle montra à l'arbalétrière.
— De riches gisements ?
— Du cuivre ici et du zinc au nord. Un peu de fer aussi. Le druide n'arrive plus à retrouver le filon sous terre.
— Vous avez donc du laiton ?
— Oui. Mon mari est adjoint au maître de forge ici. Il m'a dit qu'ils ne pouvaient plus vendre d'acier sauf à notre suzerain ou ses alliés. Dommage, car notre fer, même s'il n'est pas très abondant, est de bonne qualité. Même vos cavaliers ont apprécié ma lame.
— Tant mieux pour vous. Une bonne lame, c'est essentiel, même quand on ignore quand on en aura besoin. Mais votre laiton, il est comment ? J'aimerais bien en avoir un peu.
— Du laiton ? Je dirais qu'il est excellent. Vous regarderez la vaisselle sur le marché. Mais je ne sais pas si le seigneur vous permettra d'en acheter.
— Je le lui demanderai.
Tranit fit venir Suwane près d'elle et lui parla à l'oreille.
— Dis à Adacie qu'ils produisent du laiton ici. J'aimerais savoir s'il est de bonne qualité. Dans ce cas, je demanderai au seigneur Diarix la possibilité d'en acheter. Demande-lui de s'assurer de la qualité de leur métal.
* * *
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Vixii
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Les Larmes de Tranit - 2
FantasyPour réaliser un exploit, peut-être est-il préférable de s'y préparer pour y survivre. Avec leurs manies tellement différentes, Tranit est un peu perdue dans ce nouvel univers, surtout avec une adjointe la dévorant des yeux et persuadée qu'elle est...