La question avait surgi de la bouche de Tranit presque à l'improviste et elle se sentit honteuse de l'avoir tutoyé et de lui avoir demandé une telle chose.
Il hésita un petit instant, amusé.
— Oui, je le sais, mais je ne peux pas encore te l'expliquer. Il lui montra les cavaliers au loin.
— Quand tu apprendras à faire le point, comme eux, tu l'apprendras. Je te le promets.
— Merci. Et ça, qu'est-ce que c'est ?
Tranit venait de lui montrer le fond du bloc de bois dans lequel une aiguille tournait. Elle aussi était entourée d'un cadre circulaire sur lequel étaient gravés des nombres.
— C'est une boussole. L'aiguille indique toujours le nord.
— Comment est-ce possible ?
— C'est le magnétisme. Si l'aiguille est soumise à un aimant du métal, elle perdra sa capacité, mais dans ce bloc de bois il n'y a pas de problèmes.
Il fit signe à Tranit de finir sa chope et à un enseigne d'apporter la suite.
— Hum... de la terrine de lièvre, c'est délicieux.
Il avala avec un plaisir évident deux petites tartines.
— J'en raffole. Une dernière chose Tranit, ce bracelet est vraiment précieux, si on sait s'en servir. Peu de gens en possèdent. Tes commandants en ont un, même si en général ils laissent un enseigne s'en servir pour eux. Adacie sait s'en servir, évidemment, et dispose de celui que tu as reçu avec tes affaires. Celui-ci est en plus.
— C'est vraiment précieux ?
— Moins que nos armes en apparence, mais si tu sais t'en servir, tu peux trouver ton chemin, estimer le temps. Si tu connais l'heure, tu peux faire beaucoup de choses.
Tranit devina ce que cela impliquait et hocha la tête d'un air grave. Elle rangea le quartz et referma le couvercle délicatement avant de goûter aux tartines.
Son estomac cria immédiatement famine et elle avala les quatre posées devant elle sans s'arrêter puis les fit passer avec de la bière.
Erwan la rassura.
— Tu t'entraîneras avec Adacie. Je suis persuadé qu'en peu de temps tu maîtriseras ce système. Beaucoup de gens regardent ça comme de la magie, non, ce n'en est pas. C'est de la science.
Tranit lui fit signe qu'elle le croyait et s'empara des tartines que l'enseigne venir de déposer sur son assiette. Elle les dévora et s'en amusa.
— Merci. Je ne me rendais même pas compte que j'avais si faim. Alors maintenant nous parlons de la forteresse ? À l'origine, c'est pour ça que tu m'as engagée.
— Et c'est toujours pour ça, confirma-t-il avec un petit sourire. Mais tu as raison, ajouta-t-il, passons aux mauvaises nouvelles.
Tranit se cala dans son siège et, le visage grave, dévisagea Erwan qui semblait chercher ses mots. Il n'avait pas l'air de plaisanter.
Il inspira profondément et fit signe à un autre enseigne qui attendait à quelques pas de là.
— Le projo et les croquis !
Le jeune homme partit en courant et Erwan repoussa sa chope et son assiette pour faire de la place devant lui.
— J'ai donc passé une vingtaine d'heures là-haut, à observer la forteresse. Les forteresses en fait. Il y en a deux qui gardent l'accès aux vallées. Elles sont à trois cents toises l'une de l'autre. Celle de gauche, lorsque nous descendons des sommets, est la plus imposante. De la taille d'Outre-berge au moins.
L'autre est moitié moins grand, à peu de chose près. Il n'y a pas d'autre accès qu'entre elles. Tout est trop escarpé, soumis aux vents violents. Si un homme seul peut passer, avec difficulté, c'est impossible pour une troupe qui sera impitoyablement massacrée.
Tranit opina du chef.
— D'accord ! Deux puissantes forteresses à trois cents toises de distance. Elles peuvent se soutenir en cas d'attaque.
— Exactement. Attaquer celle de gauche est impossible tant elle est massive. Mais celle droite est couverte par l'artillerie.
Tranit avait sorti son carnet et notait ce qu'Erwan annonçait.
— Tu as vu l'artillerie ? Elle se mordit la lèvre en se rendant compte qu'elle l'avait tutoyé encore une fois, mais il ne réagit pas, poursuivant ses explications.
— J'ai vu plusieurs pièces. Le rempart possède des meurtrières pour des lance-flammèches. Au moins une trentaine pour chacune. Il y a aussi des balistes, des trébuchets et même deux canons à quartz.
Ils étaient recouverts de bâches de cuir, mais ils étaient bien là, sur un donjon adossé à la montagne. La forteresse de gauche est adossée à flanc de montagne, un flanc impraticable pour des hommes. C'est parce que Glèm m'y a déposé avec son oiseau que j'ai pu y séjourner.
La forteresse de droite est suivie d'un précipice dans lequel descendre est suicidaire.
Tranit leva les yeux de ses notes et dévisagea longuement Erwan.
— Donc la réputation d'invincibilité n'est pas usurpée !
— Pas du tout ! Les légendes parlent d'au moins une dizaine d'attaques massives et à chaque fois les assaillants ont été massacrés, des milliers de captifs réduits en esclavage. C'est sans doute en dessous de la vérité.
— Et les remparts ? Comment sont-ils larges ? Comment sont-ils équipés ?
— Ils sont à deux niveaux. En haut, un rempart crénelé comme tu en as l'habitude, comme ceux que tu as fait construire. Ils sont larges, assez pour qu'une dizaine d'hommes marche de front et fermés par un mur de pierre sur le côté intérieur, parce qu'ils sont exposés aux vents et qu'il doit être facile de tomber en cas de mauvais temps.
Le second niveau est à peu près au tiers de hauteur. Il doit s'agir d'un couloir intérieur muni de meurtrières pour les lance-flammèches. Ainsi ils peuvent immobiliser des assaillants avant qu'ils n'atteignent les douves.
L'enseigne revint avec un coffre de cuir et un cahier qu'Erwan lui fit signe de donner à Tranit.
— Voici mes notes et mes croquis. J'ai des estimations de la garnison, des horaires de rondes, de patrouille, la disposition des fortifications puisque j'étais en hauteur et j'ai pu tout voir.
Tranit ne comprenait pas la plupart des signes utilisés, mais les croquis étaient éloquents. C'était redoutablement impressionnant.
— De plus, la cité d'Azil est juste après les forteresses, en haut du plateau. En cas d'attaque, ils doivent pouvoir renforcer la garnison en quelques heures.
— C'est une grande cité ?
— Oui, l'une des plus grandes des Pyrénées et ce n'est pas la capitale. Il y a sans doute plus de cinquante mille personnes y vivant, de quoi fournir au moins dix mille combattants.
— Donc ils seront aussi nombreux que nous ?
— Même plus. La garnison permanente doit être au moins de trois mille hommes, vu le nombre de soldats que j'ai vu, l'immensité des forteresses, ça doit être ce nombre, à quelques centaines près.
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Vixii
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Les Larmes de Tranit - 2
FantasyPour réaliser un exploit, peut-être est-il préférable de s'y préparer pour y survivre. Avec leurs manies tellement différentes, Tranit est un peu perdue dans ce nouvel univers, surtout avec une adjointe la dévorant des yeux et persuadée qu'elle est...