CHAPITRE QUARANTE-TROIS .3

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Le lieutenant remercia le commandant Luin avant de boire une gorgée de bière pour se donner une contenance. Il regarda de nouveau Tranit.

— Je crois que sa seigneurie a prévu que nous vous fassions très prochainement une démonstration. Parfois, les mots ne sont pas suffisants.

Tranit le remercia d'un sourire.

— Bien lieutenant, ces temps-ci ce ne sont pas les mots qui me manquent, mais le temps. Alors je patienterai.

La jeune fille termina son ragoût en silence, à peine trois cuillerées, se demandant comment elle allait pouvoir survivre à ce repas guindé. Elle se concentra sur les autres conversations et vit que tout le monde parlait de sujets divers, mais sans aucun rapport avec leur travail, la situation militaire. Adacieaurait pu l'aider à trouver de quoi deviser, mais avec ces inconnus, Tranit nesavait trop quoi dire.

Elle se concentra donc sur la musique, fort belle, et les commentaires gastronomiques des autres. L'enseigne qui officiait comme maître de cérémonie revint annoncer un plat de poisson cuit à la vapeur accompagné de cubes de légumes frais.

Les restes de pains furent enlevés des tables, des assiettes posées puis le service reprit. La chair du poisson était délicieusement fondante et un soupçon de vinaigre en relevait la douceur.

Tout le monde partageait ses souvenirs gastronomiques, certains étaient forts comiques et des éclats de rire rendirent l'atmosphère plus détendue. Au poisson succéda des viandes rôties, cailles et écureuils.

À chaque fois, les portions servies étaient suffisamment petites pour ne pas rassasier le convive et lui laisser l'opportunité de déguster le plat suivant.

Tranit n'avait jamais assisté à des repas de seigneurs, mais d'après les récits qu'on lui en avait faits, ils étaient tous forts roboratifs. Ici, le cuisinier d'Erwan semblait avoir privilégié la diversité des plats et leur qualité.

Trouver des légumes aussi frais en cette saison était fort difficile. Ils devaient être hors de prix. Tranit en eut la certitude lorsqu'on annonça une meringue au coulis frais de groseilles et un sorbet aux framboises.

Elle n'avait jamais vu un tel gâteau, léger et dur, si friable. Quant à cette mixture de fruits glacés, c'était incompréhensible et elle ne put retenir une exclamation de surprise. D'ailleurs, tous les nouveaux venus comme elle n'en revenaient pas.

Bien entendu, en hiver elle avait déjà vu de la purée de fruits ou de légumes prise par le froid, mais c'était en hiver, pas un soir de printemps assez doux.

Quoi qu'il en soit, c'était délicieux. La musique finit par s'éteindre et plusieurs personnes s'allumèrent des pipes de chanvres pour attendre le lait de noisette qu'on leur préparait.

Il y eut quelques demandes à haute voix pour que quelqu'un chante. Tranit vit Erwan l'inviter à prendre place au milieu. Tranit reconnut le chevalier qui avait chanté lors du repas avec le prince.

Il y eut plusieurs exclamations de joie et le chevalier recommença à raconter ses aventures comiques dont plusieurs personnes reprirent le refrain en chœur avec lui. Même Erwan semblait chantonner.

Après plusieurs couplets tous aussi remplis de sous-entendus grivois les uns que les autres et d'un refrain que tout le monde reprit en cœur dans la joie et la bonne humeur, le chevalier fut remercié sous les applaudissements.

Les enseignes apportèrent lait de noisette et digestifs puis se réunirent devant la table d'Erwan et entonnèrent un chant qui fit glousser tous les habitués. Le capitaine des hussards expliqua à Tranit.

— Tous ceux qui sont passés par l'école de formation des enseignes d'Erwan connaissent ce chant. Nous l'avons composé pour nous rappeler toutes nos erreurs, nos bêtises. Ce RAS signifie Rien À Signaler. 910 en code télé.

C'est le code pour dire que tout va bien, qu'il n'y a pas de problèmes. Chaque génération d'élève y ajoute un couplet concernant sa plus fameuse bévue.

Tranit pouvait voir que la plupart des participants chantonnaient en même temps que les enseignes, les yeux rieurs. Le refrain était repris par tous les habitués d'une voix tonitruante.

Tranit se pencha et vit sur sa droite Adacie qui chantait en cœur sous le regard amusé de Glèm et celui adorateur de la petite Suwane. Les enseignes racontaient leurs turpitudes, leurs erreurs sur un air enjoué.

Ils finirent sous un tonnerre d'applaudissements et Erwan se leva, les larmes aux yeux.

— Merci enseignes. Malgré vous, nous gagnerons bien cette guerre !

Tous ses officiers rirent une dernière fois de bon cœur et comme si cette intervention avait servi de signal, la plupart des participants se levèrent de table pour rejoindre des amis assis ailleurs.

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Vixii

Les Larmes de Tranit - 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant