CHAPITRE QUARANTE-SIX .2

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L'homme présenta l'arme longuement, comme un père le ferait de sa progéniture. Il n'avait cure de voir Tranit avec ses quatre galons, Adacie avec le sien, Suwane sans aucun, mais avec un air d'officier et les jeunes enseignes avec un simple liseré doré. Il ne cherchait pas à savoir qu'elle était leur expérience du tir.

Ils étaient tous ses élèves et il leur parlait comme s'ils avaient quelques difficultés de compréhension. Mais à force de répétitions, les informations techniques sur l'arme entrèrent dans leur mémoire.

L'adjudant sifflota quelques mesures d'un air entraînant et répéta en chantonnant tout ce qu'il avait dit. Tout le monde sourit, mais tout était mémorisé. Rien de mieux que de monter ou démonter un objet compliqué en chantonnant ce qu'il fallait faire.

Lorsqu'un marin leur annonça qu'ils approchaient de l'embranchement de l'Adour et du Dibes, entre lesquels se trouvait la seigneurie de Diarix, ils connaissaient tous l'air et se remémoraient les différentes parties de l'arme, ainsi que l'ordre de démontage et de remontage du fusil.

Tranit se servit de sa montre pour calculer l'heure qu'il était. La demie de dix heures était juste passée. La jeune femme se souvenait qu'en dorkis, au trot, elle aurait mis au moins deux fois plus de temps à rejoindre cet endroit et aucun navire normal n'aurait pu le faire en halage sans avoir besoin d'une longue journée.

Elle remonta sur le pont et découvrit un fortin à la pointe de l'îlot ainsi constitué entre les deux cours d'eau. Diarix était prospère et plusieurs bosquets d'arbres vigoureux couvraient son territoire. Sur le fortin, des hommes s'agitaient, se demandant ce qu'un catamaran si imposant venait faire par ici.

Le navire se mit de flanc pour montrer ses intentions pacifiques et une rampe fut abaissée pour qu'un chevalier inspecteur puisse monter à bord.

Tranit s'approcha du capitaine qui attendait sur le pont. L'homme la salua respectueusement et lui montra l'homme qui montait à bord avec deux arbalétriers.

— Voulez-vous expliquez la raison de votre venue mon commandant ?

— Oui capitaine. Je m'occuperai aussi de l'octroi.

Beaucoup de seigneuries faisaient payer les voyageurs s'aventurant sur leurs terres, leurs eaux. Diarix serait de ceux-là, ne négligeant jamais de faire payer les taxes lui étant dues. Tranit salua traditionnellement le chevalier qui arrivait en haut de la rampe en portant sa main droite à son cœur puis en dressant le poing.

— Bien le bonjour, chevalier. Que la journée vous soit prospère.

L'homme regarda la taille du navire et regarda Tranit en se demandant s'il la connaissait. Un droit de passage pour un tel navire serait un bon moyen de commencer la journée.

— Bien le bonjour damoiselle. Vous remontez l'Adour ?

— Malheureusement non, chevalier. Je viens voir mon père qui est venu se reposer chez le comte Diarix. Je demande le droit d'ancrage pour mon navire. Nous repartirons d'ici la deuxième ou troisième heure de l'après-midi.

— Votre père, hein ? dit le chevalier en la dévisageant de nouveau. Je savais bien que votre visage me semblait familier. Maître Itaïng est à la petite tour du Dibes. Votre navire ne passera pas, le ruisseau est trop étroit en ce moment.

— Nous sommes en dorkis. Nous laisserez-vous ancrer ici pendant que je m'y rends avec une petite escorte ?

— Oui-da, damoiselle.

Tranit s'empara de trois lunes d'argent dans sa petite bourse qu'elle gardait à son ceinturon. La somme lui semblait plus que raisonnable. Le chevalier tendit simplement la main et accepta l'octroi. Il redescendit avec ses hommes et les dorkis furent amenés sur le pont.

Tranit annonça en avoir pour deux heures, trois au plus, le séjour de son père étant à moins d'une demi-heure de l'ancrage. Adacie, Suwane et trois chasseurs conduits par un enseigne la rejoignirent et la petite troupe dévala la rampe pour suivre un chemin de terre longeant la rive gauche de l'îlot.

De nombreuses fermes avaient été construites sur les petites hauteurs intérieures. Les prédateurs n'étaient pas à craindre, la seigneurie étant entièrement entourée d'eau. Les attaques de fouines, martes, belettes étaient extrêmement rares. Quant à la présence de renard, cela n'avait plus été vu depuis la naissance de Tranit, au moins.

Bien entendu, des oiseaux de proie attaquaient les garennes, tant la présence de lièvre en grand nombre était tentante, mais c'était habituel. Les habitants vivaient paisiblement et heureux. Tranit gardait de Diarix l'image d'un homme bourru, mais honnête. Il tenait sa terre de son père et le comte de Gensac lui avait permis de renouveler l'hommage.

Tranit n'était plus venue ici depuis son entrée dans la milice, cinq ans plus tôt, mais rien ne semblait avoir changé. Elle racontait tout cela à Adacie et Suwane en avançant lentement sur le chemin.

Elles croisèrent quelques chariots de paysans, mais personne ne semblait effrayé de leur présence. Ici les soldats étaient bien tenus, n'abusaient pas de leur autorité et n'opprimaient pas la population.

Ce n'était pas aussi fréquent qu'on l'eut pu souhaiter. Même dans les terres libres, les hommes en armes se laissaient facilement entraîner par la facilité que leur procurait leur position.

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Vixii

Les Larmes de Tranit - 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant