Les yeux de Laumit brillèrent de nouveau.
— Benwan peut venir chercher ce qu'il veut et quand il veut, décréta la jeune brasseuse.
— Je n'en doutais pas un seul instant. Et ton père a-t-il encore des lingots de laiton ?
— Du laiton ? La jeune femme resta un instant songeuse avant de secouer négativement la tête. Non, il ne garde ici que le minimum pour faire quelques réparations sur ses alambics. Il a eu du mal à garder son cuivre que le conseil voulait prendre pour l'effort de guerre.
— D'accord. Sinon vous livrez chez Diarix ?
— Pas régulièrement. Une fois par mois, son intendant vient nous acheter quelques tonneaux de la bière spéciale de mon père que leur seigneur apprécie. Il ne devrait pas tarder d'ailleurs.
Tranit lui parla des lingots de laiton qu'elle désirait et du prix auquel elle les avait achetés. Laumit nota tout cela et lui promit de lui en obtenir. Sa servante revint avec un petit coffret de cuir qu'elle déposa sur le bureau.
Tranit reconnut le nécessaire de Laumit et la jeune femme en sortit son trancheur, qu'elle manipula avec émotion. C'était un magnifique objet, encore plus beau que celui de Tranit. Laumit joua avec quelques instants avant que les gestes d'habitude ne reprennent le dessus.
Elle vérifia la qualité du quartz trancheur, sa puissance restante, vérifia que les fixes plaquettes étaient en bon état et surtout que le papillon permettant d'obtenir l'épaisseur voulue était fonctionnel.
Adacie sortit une tige de quartz de la petite besace qu'elle portait en bandoulière. Laumit s'en empara, étonnée. Épaisse comme un petit doigt, c'était du quartz rose tout simple.
Sans avoir besoin d'autres explications, Laumit fit chercher une coupe remplie d'huile pour recueillir les éclats. Comme Tranit la veille, des souvenirs l'envahissaient, un soupçon de nostalgie l'enveloppait.
Mais ses gestes étaient assurés quand elle commença à tailler la tige, ses doigts retrouvant leur souplesse et leur dextérité. En peu de temps, elle termina la tige de quartz qui se retrouva en une centaine de fines lamelles baignant dans l'huile.
— Et voilà le travail ! Si mes quartz étaient mieux chargés j'aurais été plus vite, mais je suis confiante, vos lamelles sont parfaites.
Elle tendit la coupe à Adacie qui s'empara en la remerciant pour examiner le résultat.
Tranit remplit la chope de Laumit.
— Tu es parfaite. Laisse-moi tes autres trancheurs, je vais les faire recharger chez nous. Demain ils seront comme neuf, tout juste sortis de leur point chaud.
— Avec plaisir. Tu n'as plus le tien ?
— Si, si, je vais aller le prendre après notre départ. Mais je n'aurais pas autant de temps que toi. Il nous reste tant à faire, soupira-t-elle.
Tranit n'eut pas le temps de poursuivre que la jeune brasseuse se repencha vers elle et demanda, en baissant le ton.
— C'est vrai que votre prophète peut voler ?
La question de Laumit prit Tranit au dépourvu, mais elle ne put s'empêcher de sourire.
— Comme tout le monde, s'il a un oiseau sur lequel monter. Mais tout seul, je ne le crois pas.
Adacie approuva les paroles de Tranit en reposant la coupe de lamelles.
— Elles sont parfaites. Non, damoiselle, Erwan ne vole pas, sauf sur le dos d'un oiseau.
— Les gens parlaient de ça au marché ce matin. Il aurait fait reprocher au jeune seigneur de Lannemezan d'avoir fait bouger des éléments de sa cavalerie trop à l'est, ce qui est vrai apparemment, mais impossible à deviner pour un homme à terre. Ce qui explique la rumeur.
— Ce n'est pas la première à son sujet ni la dernière, affirma Adacie. Cela risque même d'empirer dans les jours suivants.
Tranit montra la seconde tige de cristal, complète, qu'Adacie avait sortie de sa besace.
— Tu aurais besoin de combien de temps pour t'occuper d'une tige de cette taille ?
Laumit haussa les épaules, incertaine et observa quelques instants ses ouvriers qui travaillaient sur une cuve.
— Je ne peux affirmer combien de temps libre j'aurais par jour, mais certainement de quoi m'occuper d'une tige complète. Je suis comme toi. Une fois lancée, je ne m'arrête plus.
Cela représentait presque un millier de lamelles par tige. Le sourire d'Adacie était une approbation évidente de cette annonce. Tranit savait bien qu'elle allait avoir besoin de ce millier de munitions supplémentaires. Elle approuva d'un signe de tête.
— C'est parfait. Tiens ! Tranit dégagea sa bourse et en sortit quelques soleils qu'elle posa devant son amie.
— Tu chercheras à obtenir tout le laiton possible de chez Diarix. Tu parleras des travaux de la brasserie, d'ouvrages à réaliser pour des communautés au nord. Avec ceci, tu devrais pouvoir en obtenir une dizaine.
Laumit accepta l'argent en faisant la moue.
— Pourquoi tant de mystère ?
— Diarix est tenu par son serment de vassalité et son suzerain vient de prêter serment à Lasseube, rival de notre prophète.
— Ça aussi, c'était donc vrai ? s'étonna la jeune brasseuse. Ces hommes m'étonnent de plus en plus chaque jour avec leurs décisions si compliquées, si stupides.
Bon, c'est d'accord. Je m'arrangerai pour que tu aies tout ce dont tu as besoin. Tu diras au jeune seigneur Benwan que je l'attendrai avec plaisir en fin d'après-midi.
— Merci Laumit. Je n'y manquerai pas. Dès demain matin, on te ramènera ton trancheur rechargé et je parlerai à Benwan. Je lui demanderai de t'apporter quelques tiges supplémentaires, par courtoisie.
Laumit approuva d'un petit sourire discret.
— Oui, par courtoisie. Laisse-moi aussi tes bouts de tiges, j'aimerais essayer quelque chose.
Adacie les posait déjà devant la jeune femme et lança un petit regard inquiet à Tranit. L'heure tournait. La journée n'était pas encore finie.
— Nous allons devoir y aller, Laumit. Tant de choses restent à faire.
La jeune brasseuse fit un signe à sa servante et se leva.
— Ne t'excuse pas mon amie, mais repasse me voir d'ici quelques jours.
— Je n'y manquerai pas. Tranit s'approcha d'elle pour déposer un petit baiser au coin de ses lèvres. L'intendant ramenait les montures et les jeunes femmes y grimpèrent lestement.
Elles prirent congé d'un geste de la main et Tranit les entraîna sur le chemin contournant la brasserie.
— Merci Kalonig, un peu plus et j'aurais commencé à me croire en villégiature à parler avec elle. Mais nous aurons nos lamelles et notre laiton, c'est l'essentiel.
— Nous allons devoir nous presser pour rejoindre la maison forte et la formation TAP.
Tranit prit quelques instants pour utiliser l'appareil offert par Erwan et vit sur son cadran qu'il était bien plus tard qu'elle ne s'y attendait.
— Nous récupérons mon appareil puis nous accélérerons l'allure. Suivez-moi !
Tranit passa à un trot plus alerte et rejoignit le châtaignier adjacent au chêne dans lequel elle avait vécu avec son père et sa sœur si longtemps.
Elle évita les alentours de la résidence du nouveau druide, ne voulant pas voir ce qu'était devenu ce qui avait été la maison de sa jeunesse.
* * *
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Vixii
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Les Larmes de Tranit - 2
FantasyPour réaliser un exploit, peut-être est-il préférable de s'y préparer pour y survivre. Avec leurs manies tellement différentes, Tranit est un peu perdue dans ce nouvel univers, surtout avec une adjointe la dévorant des yeux et persuadée qu'elle est...