Partie 1 - Chapitre 28

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À la suite de cette poignée de main vigoureuse, à l'allure de salut maçonnique, et d'un silence lourd de sens, je m'étais – et pour la première fois de ma vie – engagée dans ce qui se rapprochait d'un complot. Cette situation était si absurde, irréaliste et folle ; en moins d'une quinzaine de minutes, j'étais passée du statut de simple barde jetable à espionne. Et, j'avais un sourire d'incrédulité que je peinais à effacer de mon visage. Je n'avais même pas peur qu'Asenath comprenne que j'étais loin, mais très loin, d'être la personne qu'elle s'imaginait.

Mais, son départ m'avait laissé, ou plutôt, m'avait précipité dans un vide immense ; Hazel aussi me quittait. Et je n'étais plus qu'avec ma personne et moi-même dans cette pièce trop grande, trop humide. Une sorte de mal-être me vida encore plus quand la femme en armure me jeta un dernier regard ; celui que l'on donne à nos êtres chers sur le quai d'une gare ; celui que l'on garde avec nos larmes ; celui qui, de son amertume, de son absolue tristesse, nous emplie d'une nostalgie et d'une lourdeur des paupières ; celui que toutes les âmes sœur ont l'une pour l'autre.

Dans ce geste, dans cet ultime adieu, elle avait scellé notre relation mort-née ; et c'était triste mais mieux ainsi... très certainement. Car trop dangereux, trop interdit, il était futile d'y penser ! Et pourtant... un doute m'habitait toujours, mais je savais très bien qu'il ne devait plus exister. C'était une bêtise, une faute grave même. Non, Hazel n'était pas pour moi.

Quand Pripa, qui se révélait avoir une patience et un sens du devoir hors norme, était revenue dans la salle, telle une fleure innocente au milieu d'un champ en ruine, ravagé par les flammes du pouvoir et de la mesquinerie, j'étais frigorifiée par toutes ces émotions fortes qui, une à une, quittaient mon corps et mes pensées. Elle m'avait ramené, très-soigneusement, avec ses petites mains de servante dévouée, dans l'eau ; et la tiédeur constante du bain m'avait comme apaisée et dissipa tous les troubles et tracas qui subsistaient en moi.

– Tu sais quoi, Pripa ? dis-je avec un doux sourire sur mes lèvres.

La jeune servante, reprenant petit à petit le soin de mes cheveux, fredonna un « oui » interrogatoire, dans sa bouche close. J'avais la tête penchée en arrière et je la voyais comme à l'envers. Elle était très-concentrée sur sa besogne et ne daigna même pas croiser mon regard. C'était une fille souriante, naturellement souriante, probablement simple d'esprit et d'une gentillesse maladive, de la même que celle des animaux dociles.

Alors, n'ayant aucune autre forme de réponse de sa part, je continuai :

– Je ne suis pas mécontente de tes services, Pripa. Je n'ai jamais eu des massages aussi bons !

– Merci madame, c'est mon devoir madame.

– Vraiment, tu as l'air d'être une chouette fille ! Ça fait combien de temps que tu... travailles ici ?

– Depuis toujours, madame.

– Depuis toujours ? Tes parents aussi travaillent ici ? demandai-je dans mon élan de curiosité.

– Oh, non madame, dit-elle simplement. Je connais pas mes parents.

– Oh... Je suis désolée... Je ne savais pas que...

– C'est pas grave madame. Je les ai jamais connus de toute façon, y a rien de triste là-dedans.

Puis, après un silence où mon regard s'était perdu dans les dalles du plafond, je rétorquai, d'une voix étonnement indifférente :

– Je te comprends dans un sens, moi aussi j'ai l'impression de n'avoir jamais connu les miens...

Elle rétorqua, de nouveau, d'un simple fredonnement. Et moi :

Royal lagoon (GxG)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant