Partie 1 - Chapitre 18

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Je m'étais réveillée, d'un sommeil lourd et reposant, d'un sommeil sans rêve ni cauchemar, avec un mal de ventre horrible, l'estomac tordu par une grande faim, la bouche pâteuse et la gorge sèche. J'avais comme un vague souvenir d'une trop longue journée et mes membres étaient quelque peu courbaturés. Dans un premier temps, rien ne vint à l'esprit et je me voyais encore sur le bateau à attendre mon tour pour plonger dans le trou bleu. Mais petit à petit, comme un éboulement lent qui allait en accélérant, ma journée de la veille me dégringola sur le coin de la tête en un violent flot de souvenirs. Et tout, absolument tout, revint dans mes pensées.

Je me levai en sursaut, mon cœur prêt à bondir hors de ma poitrine. J'étais dénudée sur un lit douillet, et à mes côtés, encore étreinte par les bras de Morphée, Sigrid. Son visage était si paisible et sa respiration si lente, que la jeune femme rayonnait déjà d'un doux sourire ; et la lumière du soleil qui, passant par les minces interstices des rideaux de ma chambre, venait choir sur son dos nu, dans ce grand silence matinal, dorait sa peau lisse et quelque peu rosée.

Le galbe de ses fesses – de cette douce fente au mille et une passion – et de son dos ravivèrent un instant mes nouveaux désirs, mais, mon ventre gargouilla, et je tentais – tant bien que mal – de couvrir le bruit par les draps. Il me fallait manger si je ne voulais pas perdre connaissance. Et je voyais encore au pied du lit le chariot que l'on m'avait apporté. Il y avait deux sortes de coupoles, de dômes en argent, qui couvraient des plats : un grand et un petit.

Je tâchai de les ouvrir sans provoquer le moindre bruit, sans réveiller Sigrid qui semblait dormir à poings fermés. J'avais devant mes yeux, dans le plus grand des plats, un assortiment de fruits. Des raisins, des fruits rouges, des bananes et quelques noix en tout genre. Dans l'autre plat, le plus petit, il y avait un bol contenant un liquide verdâtre avec une tranche de pain. Ce n'était vraiment pas ragoûtant, mais étonnement, même froid, cet étrange plat dégageait un parfum agréable. Un mélange étrange de soupe de poulet et de légumes.

J'ai décidé de commencer par celui-là et de garder pour la fin les aliments qui m'étaient familiers. Cette soupe était drôlement bonne, onctueuse, goûtue et pleine de minuscules morceaux de pomme de terre. Ce n'était pas le petit déjeuner le plus commun que j'avais eu à manger, mais mon ventre était si vide que j'aurais très certainement pu avaler tout ce qui me passait sous la main et sous la bouche. Et plus je mangeais, plus ma faim grandissait, c'était comme si je n'avais rien avalé depuis des lustres. J'avais ingurgité d'une seule traite et sans la moindre respiration la soupe de légumes.

Une petite main, subreptice, vint me prendre par la taille ; et je sentis le doux visage de Sigrid se poser sur mon épaule. Elle me souriait à pleine dents, les yeux clos. Elle était de celle qui sortait du lit heureuse, radieuse, de bonne humeur. Et d'une voix douce, elle me dit :

– Bonjour, Andréa. Avez-vous passé une bonne nuit à mes côtés ?

– Une très bonne nuit, appuyai-je d'un hochement de tête vif, la bouche pleine de pain.

Elle m'enlaça alors de ses petits bras, enfonçant encore plus son visage dans mon cou et collant sa poitrine contre mon dos. Je me laissai porter par cette douce union de nos corps ; et j'appréciais pleinement ma nouvelle vie. Enfin, Sigrid déposa quelques baisers humides sur mes épaules et s'assit à côté de moi, picorant à son tour quelques raisins avant de se lever.

– Il est temps d'ouvrir ces rideaux, vous ne pensez pas ?

– Si... dis-je sans grande conviction, ne pensant qu'à une seule chose : manger.

La jeune femme ouvrit deux grands pans de tissus épais, dévoilant une haute fenêtre, et une colonne de lumière s'abattit de plein fouet sur moi. D'abord éblouie par la lumière chaude du matin, j'ai dû clore les paupières. Et Sigrid ouvrit par la suite, les battants de la fenêtre. L'air frais du début de journée s'invita dans la pièce et fit poindre sur toute ma peau un début de frisson. Un frisson que je cachais avec la soie qui me servait de couverture.

– Une belle journée qui s'annonce, me dit-elle, penchée à la fenêtre. N'est-ce pas ?

La nudité était un concept qui ne semblait pas déranger le moins du monde. Son costume d'Eve la seyait à ravir, et je la voyais, magnifique, se découper dans la lumière, comme une apparition divine, l'appel du péché. Sigrid était à moi, rien qu'à moi. Et cette idée m'enivrait déjà d'une envie d'expérimenter à nouveau la jouissance de la veille.

Elle se retourna, attendant toujours une réponse à sa question, et voyant que je m'étais perdue dans les courbes de son corps, elle me sourit, puis reprit, d'une voix doucement amusée :

– Pas tout de suite tout de même, j'ai cru comprendre que votre journée allait être chargée.

– Oui, soufflai-je, mon regard toujours posé sur elle.

Cette journée allait effectivement être longue, tant de chose me restait encore à faire, et passer devant leur reine me stressait quelque peu. Je me demandais même si elle allait s'étirer aussi longuement que celle d'hier.

La jeune femme s'avança en sautillant vers moi, ses cheveux blonds rebondissant au rythme de ses pas. Elle poussa le chariot et se jeta dans mes bras. Elle souriait franchement et son rire cristallin était communicatif. Mais cette fois-ci, je ne m'étais pas laissée dominée par cette jeune femme fauve, et dans une chamaillerie brève, je me retrouvais au-dessus d'elle.

Sa chevelure d'or s'étalait gracieusement sur le lit, et son visage quelque peu surpris s'empourprait déjà. Je me mordis la lèvre et Sigrid me susurra, d'une voix grisante et d'un regard perçant :

– Je pense qu'on peut s'accorder une petite gâterie, avant qu'on vous soustrait à moi. J'ai envie de vous, de vous faire jouir, de mes doigts et de ma bouche.

Alors que je me jetais sur ses lèvres, toute rouge et humide, pour l'embrasser, pour goûter encore à ce plaisir ineffable, la porte de ma chambre s'ouvrit brusquement. Et je m'étais arrêtée avant de les avoir touchées. Sigrid, mécontente, se tourna, et d'une voix grave dit :

– On ne vous a pas appris à frapper avant d'ouvrir ?

– Hé bah ! s'écria une voix après un long sifflement aigu.

Et cette voix-là, même si je ne la connaissais que depuis peu, je pouvais la reconnaître parmi tant d'autres. Ce timbre doucement cassé, rouillé, fatigué, c'était celui de Ruth. Je n'osais me retourner tellement une honte absurde me submergea. J'essayais tant bien que mal de couvrir mon corps nu et m'était cachée derrière celui de Sigrid qui, de toute manière, n'était pas dérangée par son manque de vêtements.

Le jeune femme continua, sur un ton un peu plus agacé :

– Hazel, vous êtes une garde royale, et ce sont des choses qu'on vous a apprises, non ?

Hazel. Elle était là. Elle était là et elle m'a vu nue dans les bras d'une autre femme, à deux doigts de l'embrasser à pleine bouche. Et je ne savais pas pourquoi, mais cette idée m'avait frappée d'un immense remords ; comme si je l'avais trahie, comme si j'avais brisé un quelconque lien entre nous deux. J'étais tétanisée d'une peur de croiser son regard qui, peut-être, était empli d'une peine que je venais de créer. Elle ne répondit rien et Sigrid continua, sur le même ton :

– Ce n'est pas grave, mais pour les prochaines fois, prévenez quand même.

Puis dans un murmure que seule moi pouvait entendre, la jeune femme me dit :

– Nous continuerons ce soir, je l'espère, ce que ces coquins nous ont privé de faire, par leur impolitesse.

Et elle se leva avant de partir, un drap sur le dos. Je me retrouvais alors face-à-face avec Hazel. Cette grande femme à l'allure d'amazone, aussi belle qu'impassible, aussi imperturbable que charismatique, aussi fermée que charmante. D'une beauté sans égale et d'une carrure toute aussi impressionnante. C'était une montagne à côté de Sigrid, et même Ruth semblait petit.

Je vis dans ces prunelles émeraude, dans ce doux mélange de vert et de miel, cette lueur que je redoutais tant ; j'ai vu sur son visage ces brides de déception, cette sourde amertume qu'elle peinait à cacher. Non, je ne m'inventais pas des illusions, des rêves que j'aurais voulu faire. Je ne me mentais pas à moi-même, car ce que mes yeux avaient observé était bel et bien réel.

Hazel était profondément déçue de ce qu'elle avait vu, de ce que j'avais fait et de ce que j'aie fait. Semblait-il, qu'elle n'était pas insensible à ma personne, et me voir dans les bras de Sigrid avait brisé cette carapace froide d'indifférence qu'elle portait constamment, l'espace d'un instant trop long pour que j'en doute.

Royal lagoon (GxG)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant