Partie 2 - Chapitre 22

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Le temps s'était cristallisé à l'instant même où Sigrid avait posé ses vils yeux sur les lettres que j'avais dérobées. Et une boule d'angoisse s'était logée en travers de ma gorge ; je sentais, sans même le regarder, Ruth qui commençait à paniquer, à perdre le contrôle, à son tour. Mais je ne pouvais rien faire, j'étais comme tétanisée par ce qui, à partir de ce moment-là, pouvait se passer. Avant, on avait une sorte de filet de secours, un semblant de sécurité, donné par ma proximité avec la reine et la régisseuse ; mais ces lettres entre les mains de Sigrid, avaient, d'un coup d'un seul, balayé toutes portes de sortie.

Alors, pendant que je réfléchissais encore à ce qu'elle allait nous dire, d'envisager ses réactions improbables, Ruth, poussé à bout et sans doute par son instinct de survie, se jeta, les bras en avant, d'un bon et d'un rugissement de lion, sur la petite Sigrid. C'était la seule solution qui lui vint à l'esprit, au moins, lui agissait, par la force malheureusement, mais il agissait quand même ; moi, j'étais restée devant elle, l'esprit vide de toute initiative. Et Sigrid, sans aucun effort, sans même sourciller, l'esquiva dans un geste fluide, tout en gardant ses yeux rivés sur les lettres qu'elle lisait, semblait-il, dans un silence et une attention absolue.

– Ce ne sont pas tes oignons ! cria-t-il. Rends-nous ces papiers, petites pestes !

Mais elle ne lui répondait pas. C'était comme si à ses yeux, il n'était même pas présent ; une simple brise qu'elle esquivait comme une anguille glissant sur le courant. Et elle semblait prendre un malin plaisir à le faire danser, à le faire tourner autour d'elle, à se jouer de lui ; lui qui, suant comme un bœuf, n'arrivait même pas à toucher sa robe, ni même à l'effleurer. Et j'étais impuissante devant ce spectacle drôlement triste.

Puis, contre toute attente, Ruth finit par attraper Sigrid ; par l'épaule, il réussit à la plaquer contre un buisson. La suivante, aussitôt, cria fort, montant très vite dans les aigus, comme si l'ancien pêcheur lui avait cassé tous les membres avec ses gros bras forgés par son rude travail. Elle se débattait comme un diable, se tortillant dans tous les sens, pareille à une possédée ; et Ruth fit de même. Les deux, maintenant au sol, gigotaient à en soulever la poussière. L'un cherchant à reprendre les lettres, l'autre essayant tant bien que mal de les garder ; c'était comme un nœud de vipères qui grouillait à même la terre, sans queue ni tête, je n'arrivais plus à voir qui des deux gagnaient la bataille.

– Ôte tes sales pattes de moi, ou je te mordrais jusqu'au sang ! pesta Sigrid.

Et Ruth, dans un grognement sourd, arriva à bloquer les minces bras de la jeune fille dans son dos. L'angle était si impressionnant, que j'allais l'arrêter avant qu'il ne les lui casse réellement ; mais, un pas seulement, qu'une garde, probablement attirée par tout ce raffut, fit éruption. Grande, droite, toute dorée de cuivre, dans son armure imposante, elle les arrêta d'une grosse voix les deux énergumènes :

– Hé là ! maugréa-t-elle. Qu'est-ce qu'il se passe ici ?!

C'était un élément de plus que je n'aurais pas voulu gérer ; et ma suivante, à pleins poumons :

– Arrêtez-le ! Arrêtez-le ! répéta-t-elle de sa petite voix tremblante de princesse à sauver. Il veut me tuer ! Il veut me tuer !

– Elle ment complètement, se défendit Ruth, toujours accroché aux bras de Sigrid.

Alors, la garde, me regardant et en se mettant en position de combat :

– Toi, dis-moi ce qu'il se passe ici, ou je tue cet homme sans hésiter !

Il brillait dans ses yeux une flamme jaune d'une joie incontrôlable, celle d'avoir l'occasion de tuer un homme ; et j'étais la seule capable de l'arrêter, de calmer le jeu. Toute la garde royale savait que Ruth était, en quelque sorte, sous ma protection, étant moi-même sous celle de la reine ; mais, il n'était pas pour autant intouchable. Un pas de travers, une phrase de trop, un regard mal interprété, tout ça en présence de la mauvaise personne, au mauvais moment, et je pouvais lui dire adieu. Ce qui était plus que le cas aux yeux de cette garde, sa lance pointée sur la jugulaire de mon pauvre compagnon d'infortune.

Royal lagoon (GxG)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant