Partie 2 - Chapitre 8

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Dans la vie, il a ce genre de moment, ce genre d'instant qui dure dans la longueur, comme si une seconde en valait plus. C'était comme avant de tomber ou de se faire mal, terriblement mal ; comme si la flèche du temps s'arrêtait en pleine course et seuls les battements de votre cœur, à un rythme lent et douloureux, vous rappellent que, malheureusement, vous êtes toujours en vie ; et vous martèlent aux tempes que tout cela est bien réel.

Je ne respirais plus. Je ne pouvais plus déglutir. Était-ce la fin, alors ?

Le regard paniqué de Ruth, aussi choqué que moi, n'aidait pas à la situation. Et c'était bien la première fois que je voyais dans ses yeux, si flous d'ordinaire, limpides quelques fois, un trouble grandissant, la mort qui approchait à grand pas. Ses mains d'ancien pêcheur tremblotaient sur le drap de soie de mon lit, et il gardait, tant bien que mal, un semblant de contenance.

Asenath, d'une radiance de femme comblée, vêtue savamment de son uniforme militaire, stricte et léger, s'avança d'un pas calme et sûr, d'un pas de conquérante en terre colonisée. Les mains derrière le dos, le menton légèrement levé et la gorge déployée, elle avançait avec ce déhanchement de félin chafouin, de prédatrice sans crainte.

À quelques centimètres de mon lit, elle hocha très-doucement la tête, closant à moitié ses paupières, pour me saluer ; puis, d'un regard plus que menaçant, elle se tourna vers Ruth, fronça simplement ses sourcils.

Aucun mot ne pouvait décrire la foudre qui s'était abattue sur le pauvre bougre ; une sueur froide dévala sa tempe pour choir sur sa main, et sans prononcer de phrase, sans même ouvrir la bouche, Asenath congédia Ruth ; Ruth qui, tout titubant et tout hésitant, sorti de la pièce à reculons.

Jamais je ne m'étais sentie aussi faible face à cette femme dangereuse ; et que faisait Pripa ? que faisait Sigrid ?! Il me semblait qu'une éternité s'était écoulée depuis son départ ; et ironiquement, c'était à ce moment-là, que je voulais de sa présence...

Asenaht, d'une main derrière son dos toujours, et de l'autre tapotant le pommeau de son sabre, prenait un malin plaisir à me laisser dans cet état d'angoisse absolue, à voir la panique grouiller dans mes yeux ; j'étais ce pauvre lapin, pris dans les phares d'une voiture, tétanisée par la fatalité de l'instant.

Alors, elle brisa le silence de cette voix de femme bien comme il faut, les lèvres pliées en un sourire si simple, mais si intimidant :

– À la source m'abreuve.

Mon cœur avait raté un battement, ou deux, plusieurs sûrement. Balbutiante et prise d'une fièvre glaciale, j'avais bafoué, dans un souffle coupé :

– Car... car la- Car la lune m'y a guidée...

Puis, après une pause, sans que je m'en rende compte, après m'avoir caressé la joue, de ses ongles noirs et élancés, pareils à des lames de rasoir acérées, elle me dit :

– J'ai appris ce qui vous est arrivé. C'est regrettable. C'est regrettable parce que je ne voulais pas vous faire souffrir pourtant. Une mort rapide aurait été moins douloureux, mais ce qui est fait, est fait...

Elle s'assit à mes pieds, les jambes croisées et une main toujours derrière le dos. Son aveu était clair, tout comme son but. Et elle continua sur le même ton :

– Pour me faire pardonner, je l'espère, je vous ai apporté quelque chose, un petit présent, en gage de notre nouvelle entente.

Asenath, de sa main cachée, posa sur mes genoux un petit paquet joliment noué d'un ruban rouge ; elle ajouta ensuite, avant même que je l'ouvre :

– Gardez le pour tout à l'heure, quand je serais partie ; je ne voudrais pas gâcher la surprise par ma présence. J'ai d'abord à vous parler de choses importantes et graves ; de choses qui nous concernent, vous et moi.

Royal lagoon (GxG)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant