Elle se montrait enfin. Celle qui nous avait proposé de devenir les nouveaux jouets de la reine s'était avancé dans le couloir. Celle qu'Hazel appelait Asenath était une femme d'une taille équivalente à la mienne. Ses cheveux, tressés d'un soin sans égale, se rejoignaient à l'arrière de son crâne. Ils étaient si sombres, d'un noir de jais, qu'on ne distinguait qu'à peine leur forme dans cette pénombre. Elle portait un maquillage élancé, deux longues virgules aux coins de ses yeux : et sa peau, laiteuse comme le clair de lune, semblait s'empourprer d'un rose pâle aux pommettes.
Elle portait un habit aux formes étranges, strictes. Je pus apercevoir, çà et là, des multiples couches fines de tissus de différentes couleurs. Son col, collé à son cou, remontait jusqu'à la base de sa mâchoire. Et une sorte de gilet serré épousait ses formes généreuses. Ses manches avaient un volume important, et l'on pouvait voir à travers ce tissu de soie, ses bras. Tout cela donnait une grande amplitude, une volupté singulière à son uniforme.
Et sur son côté droit se trouvait un long sabre rangé dans un fourreau incrusté de pierres précieuses. Ses mains, je ne pus les voir, seulement la forme, car elle les avait cachées dans des gants qui lui couvraient tout l'avant-bras.
Elle me sortit de ma cage et à mon plus grand malheur, c'était Ruth dont s'occupait Hazel. Quant à Asenath, elle avait une poigne presque aussi forte que la femme en armure ; et me traîna non sans mal hors de ma cellule. Une fois dehors, on nous installa dans la même cage de bois qui m'avait amené ici ; et nous reprîmes la route aussi vite qu'on nous avait jetés au fond.
– Tu savais qu'elles voulaient nous tuer ? demanda Ruth, en se grattant la barbe.
J'apercevais enfin dans des conditions, presque, normales ; et sa fatigue physique me parut alors beaucoup plus marquée, beaucoup plus grave. Assis nonchalamment au sol, il s'était adossé au mur en face du mien et les yeux clos il attendait ma réponse. J'avais cru, à un moment, qu'il s'était assoupi, mais son grognement roque vint me rappeler sa question, alors de sa voix cassée, il me dit :
– Boh... je m'en doutais de toutes manières...
Puis après une petite pause et un long souffle, il continua, avec un petit rire :
– Troubadours... Qui parlent encore comme ça ? Je me demande vraiment où est-ce qu'on a atterri, pas toi ?
– Je me demande aussi, mais je me demande surtout si quelqu'un nous viendra en aide...
– Tu sais, je me dis, si c'est bien payé leur histoire de troubadour, je veux bien rester là !
– Peut-être qu'elle va pas nous aimer leur reine...
– Alors on essayera de s'enfuir, conclut-il, indifférent.
On resta silencieux le reste du voyage. D'une part, parce qu'on avait plus grand chose à se dire et d'une autre parce que Ruth avait fini par réellement s'endormir. Le pauvre homme s'était affalé au sol comme une masse, et si son torse ne s'élevait pas imperceptiblement au rythme de sa respiration lente, j'aurais pu croire qu'il avait rendu l'âme.
Je n'avais plus que ma personne avec qui discuter. Je n'étais ici que depuis quelques heures et j'avais déjà l'impression qu'une éternité s'était écoulée. Je me demandais ce que faisait mon équipage, s'ils s'inquiétaient pour mon sort, si quelqu'un avait plongé après moi, au péril de sa vie, pour sauver la mienne.
Mais mes interrogations furent vite interrompues parce que déjà, nous étions arrivés ; et notre calèche d'infortune s'arrêta brusquement. Ce qui eut pour effet immédiat de réveiller, d'un sursaut énergique ce pauvre Ruth, arraché des bras de Morphée. Il était pris d'une convulsion violente et cherchait tout autour de lui, comme s'il était poursuivi par quelques démons imaginaires, la respiration haletante. Il bondit sur moi, me saisissant par le col, et dans ses yeux, j'ai pu voir une panique absolue, totale, celle d'un homme sentant sa mort arriver. Aussi surpris que moi, ses mains se desserraient petit à petit et il se releva avant de s'excuser.
– Je ne sais pas ce qu'il m'a pris... Je... Je ne voulais pas t'agresser.
– Ne t'inquiète pas, je crois qu'on est tous les deux à crans et... il faut l'avouer, notre situation n'est pas du tout banale. Je prêterais un câble moi aussi.
– Mais tu ne le fais pas... souffla-t-il.
J'haussai les épaules et le rejoignis, me levant à mon tour, puis d'un ton sincère :
– Ça va aller, ne t'inquiète pas...Et alors que je pensais avoir un long discours revigorant à lui livrer, aucun autre mot ne sortit de ma bouche ; et ma pensée devint aussi vide que mes paroles. Ruth me prit par les épaules et j'ai cru voir une petite larme se former au coin de ses yeux fatigués. Et sans crier gare, il me serra dans ses bras me glissant à l'oreille :
– Merci ! Merci !
On nous conduisit ensuite dans ces fameuses sources chaudes. C'était un bel endroit situé au pied d'une montagne. On entendait les bruissements de l'eau et des rires cristallins résonner dans l'air et contre les pierres ; et le soleil reflétait des teintes orangées sur les flancs du relief. Des colonnes de marbre blanc jonchaient le long d'une eau turquoise. Elle remontait, doucement, jusqu'à la montagne pour disparaître dans ce qui semblait être l'entrée des sources. De cette eau émanait une douce chaleur, et quelques vapeurs éphémère s'élevaient çà et là, de temps en temps.
Des femmes y trempaient leurs jambes et ne prêtaient pas attention à nous. Elles étaient peu vêtues, ne portant sur leurs épaules qu'un simple voile transparent. Elles rigolaient, se reposaient, parlaient, tandis que d'autre, se lavaient et j'ai cru même apercevoir un couple de femmes s'embrasser.
C'était à ce moment-là que la chose m'interpella : il n'y avait pas d'hommes ici. Depuis mon arrivée dans ce lieu bien étrange, je n'avais pas vu un seul homme dans les environs. Ni à la falaise où je m'étais échouée, ni à la prison – et même si je ne pouvais voir sous le casque des autres personnes en armure – ni ici. Le seul homme était Ruth. Ruth qui, gêné par cette situation avait baissé la tête, ne voulant pas croiser le regard – peut-être – des femmes dénudées tout autour de lui.
Une fois dans la grotte, on nous avait séparés. On me conduisit dans une salle, une grande salle dallée du même marbre que les colonnes. Il n'y avait pas un bruit, pas un vent ; et en son centre se trouvait un puit de lumière qui inondait une large fontaine. Une sorte de piscine ronde, remplie d'une eau bleutée. Deux jeunes femmes – sans aucun vêtement – me prirent par les bras, et sans prononcer un mot, juste un sourire complice, m'emmenèrent vers la fontaine.
L'une y entra d'un pas lent et doux, alors que l'autre commençait à retirer ma toge. Mes bras se crispèrent naturellement, et celle qui me déshabillait, après ma réaction, émit un petit rire étouffé.
– Nous n'allons pas te faire du mal, me souffla-t-elle à l'oreille.
Puis elle finie par la faire glisser de mes épaules, et tomba au sol dans un discret murmure. Son amie, qui nageait déjà dans l'eau, me sourit et parcourut mon corps de haut en bas. Elle se mordit la lèvre inférieure et un frisson grisant me remonta l'échine.
Cette situation était gênante, mais pourtant, elle ne me déplaisait pas... Loin de là.
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Royal lagoon (GxG)
FantasyÀ l'annonce de la découverte d'un nouveau trou bleu, un groupe de jeunes explorateurs se rendent dans le triangle des Bermudes pour tenter de percer son mystère. Chacun a ses raisons d'y aller : la soif de gloire, de richesse ou de reconnaissance...