La vision de ces yeux, d'une beauté rare, d'une couleur qui me semblait nouvelle, inexistante, me figea sur place et dans l'instant. Et une très longue seconde plus tard – qui s'étendait au-delà de l'éternité – après avoir contemplé la profondeur de ces prunelles, je m'étais retirée en vitesse, le cœur battant, le souffle court. Je me suis contentée, pour le reste du voyage, de m'asseoir dans un coin de la cage et attendre. Cette image resta gravé sur ma rétine tout le long du trajet et plus d'une fois l'envie de les voir de nouveau s'animait en moi. Mais je n'osais pas.
Je me débarrassai de mon scaphandre, quitte à attendre, autant gagner du temps et le rendre utile. C'était facile. Trop facile. La tenue de plongée partait en morceau, et je me demandais comment j'ai pu survivre à cette descente dans ce trou bleu avec une tenue d'aussi mauvaise facture. En réalité, ce furent mes articulations, endolories par les multiples chocs, qui me gênaient le plus. Mon dos aussi. Une douleur diffuse se propageait au-dessus de mes reins, m'empêchant par moments de me mouvoir. Et enfin, ma tête, surtout mon front à vrai dire.
Je me sentais collante, moite et une vive douleur tapait le haut du crâne par intermittence, et souvent au rythme des battements de mon cœur. Quand enfin, j'eus fini de me libérer de mon scaphandre, je portai ma main sur mon front ; une croûte qui s'effrita sous mes doigts tombait en minuscules poussières noires devant mes yeux. Du sang séché. C'était bien ce que j'avais imaginé. La vitre de mon casque m'avait ouvert le front ; et faute de miroir, je ne pouvais évaluer l'étendu de cette blessure. Au moins je pouvais me rassurer, car plus rien ne coulait de cette plaie fraîchement cicatrisée.
Je ne saurais dire combien de temps, j'avais passé dans cette cage, mais une fois arrivée à destination, une fois à l'arrêt, je me souvins m'être réveillée d'une légère somnolence. Somnolence due à une fatigue dont l'origine m'était encore inconnue, comme si j'avais traversé des pays entiers à la nage. J'entendis les pas de l'armure autour de moi, à l'extérieur, et quelques instants plus tard ceux d'autres personnes. Il faisait une chaleur d'étuve et je transpirais de plus en plus ; le caoutchouc de ma combinaison commençait à provoquer sur la peau des plaques rougeâtres ainsi que de l'urticaire. Il me tardait de la quitter, restait encore à savoir ce que me réservaient ces gens.
Je me redressai tant bien que mal, m'essuyant le front d'une sueur qui coulait à flots. La chaleur était telle, que les parois de ma prison paraissaient moites, elles aussi. Je sentis qu'à tout moment, on viendrait me sortir de là. Et quand j'entendis des voix de l'autre côté de ma cage, je prêtai une oreille indiscrète ; une discussion venait de commencer. J'ai reconnu la voix de la femme en armure, et une autre personne au moins, et au timbre de la sienne, j'ai supposé que c'était une femme.
Elles parlaient d'une voix qui ne voulait pas être entendue, de choses que je ne devais peut-être pas savoir. Les murmures de la femme en armure me parvinrent à l'oreille :
– J'ai capturé l'étrangère, et je viens la livrer.
– Une "étrangère" ? C'est une femme donc ?
– Il semblerait.
– Intéressant. Amenez-la avec l'autre, et peut-être qu'on exécutera qu'une seule personne finalement.
– À vos ordres Asenath.
"Exécuter". C'était bien ce mot-là que j'avais entendu. Un mot prononcé d'une froideur extrême qui me glaça le sang, et ça malgré une chaleur étouffante. La panique m'avait alors submergée et j'avais dû m'appuyer contre le mur pour ne pas tomber à la renverse. Ces gens-là avaient comme dessein de me tuer, du moins au début. Pourquoi ce changement d'avis ? Je ne le savais pas encore, mais je devais m'en réjouir. Et pourtant, une angoisse grandissante me tordait les entrailles ; et quand les portes de ma cage s'ouvrirent, elle fini de me clouer sur place.
La lumière du jour m'éblouit d'une violence brutale et je plissai des yeux aussi fort que je le pus. En essayant de placer ma paume sur mes paupières contractées, quelqu'un m'avait saisit l'avant-bras : une main de fer, ou plutôt d'or et de cuivre, c'était la femme en armure.
– Suis-moi, ou j'utiliserai mon sceptre, dit-elle d'une voix calme, du même timbre atypique qu'à notre première rencontre.
Je m'exécutai et me laissai traîner par sa force. Mes yeux ne s'étaient pas encore accommodés à cette différence de luminosité ; et je ne pus apercevoir aucun détail de son visage. Seule sa taille imposante se découpa dans la lumière, telle une ombre géante en contre-jour. Elle me poussa à l'extérieur d'un mouvement de bras vigoureux ; et j'atterris – de plein fouet – à quatre pattes sur un sol couvert de graviers bleuâtres. Le sol gronda quand cette dernière avait sauté près de moi, puis de la même force, elle me souleva par le col.
Je me trouvais dans une grande cour emmurée de hauts remparts composés d'immenses pierres taillées ; assez haut pour projeter une ombre sur la place où l'on avançait. J'aperçus, perchées sur ces remparts, d'autre personnes qui revêtaient cette même armure. Me regardaient-ils ? Je ne pouvais le savoir. Celle qui m'accompagnait – de sa main fermement accrochée à ma tenue de plongée – me poussa vers ce qui ressemblait à une forteresse. C'était un bâtiment d'au moins quatre étages, et de minuscules meurtrières les descendaient jusqu'au rez-de-chaussée.
Une fois les imposantes portes en bois passées, elle me fit descendre des escaliers. Il me semblait alors, que l'on avait descendu, au moins, trois étages. Il m'était difficile de compter, car dans cet étroit escalier en colimaçon – et faute de repère – je ne pouvais que spéculer sur la profondeur parcourue. Elle me présenta ensuite une petite cellule parmi tant d'autre, et une fois à l'intérieur, elle claqua brusquement les barreaux qui me servaient de porte.
Et pendant tout le trajet, une peur – peut-être irrationnelle – m'empêcha de la regarder en face ; et pourtant, ce n'était pas l'envie qui me manquait. L'occasion, je devrai la saisir pour la prochaine fois, car elle me laissa pour seul compagnon les barreaux glacés de ma cellule. Je m'installai au fond, et contre tout attente, je l'entendis revenir vers moi. Je me figeai sur place, dos à elle.
– Tenez, dit-elle, de quoi vous changer.
D'un pas lent, je me tournai ; les yeux baissés, je saisis la tenue qu'elle tenait dans ses mains.
– Merci, chuchotai-je.
Et elle repartit, comme si de rien n'était.
– Comment vous vous appelez ? demandai-je, subrepticement, d'une voix claire et distincte.
Comme si ce n'était pas moi qui avais posé la question, mes mains se plaquèrent contre ma bouche béante ; comme si j'avais commis une faute grave, mes pieds chancelèrent sous le poids de ma frayeur. Et mes doigts frémirent sous une émotion bizarre, perdus entre la curiosité et la peur. La femme se tourna vers moi ; et pour la première fois, dans cette pénombre lugubre, comme une lune perdue au milieu d'un ciel nocturne sans étoile, j'aperçu son visage dans son entièreté.
D'une symétrie presque parfaite, ses contours étaient finement dessinés. Ses sourcils sauvages arboraient une couleur sombre ; et sa large mâchoire s'adoucissait par le flot incessant de la chevelure qui l'entourait. Ses lèvres pulpeuses d'un rose discret, aussi impassibles qu'elles semblaient être, paraissaient douces, accueillantes. Sans oublier la rareté de ses yeux, sublimés par ses éphélides par milliers. Elle avait un visage magnifique, de ceux qui vous marquent pour toujours, par sa beauté et sa singularité.
Pourquoi me faisait-elle cet effet ?
– Hazel, retorqua-t-elle avant de tourner les talons.
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Royal lagoon (GxG)
FantasyÀ l'annonce de la découverte d'un nouveau trou bleu, un groupe de jeunes explorateurs se rendent dans le triangle des Bermudes pour tenter de percer son mystère. Chacun a ses raisons d'y aller : la soif de gloire, de richesse ou de reconnaissance...