Ruth m'aida à me relever, péniblement, sous le regard perçant d'Asenath. Elle avait son couteau toujours dangereusement posé contre la gorge de la Régisseuse ; et toutes deux, debout, l'une derrière l'autre, se tenaient dans une position plus que pénible, tendue. L'autre, celui qui nous avait plaqués au sol, se préparait à bondir sur celle qui menaçait sa sœur. Mais cette dernière, étrangement calme dans cette situation où sa vie ne tenait qu'à un coup de couteau, ne vacillait guère sous cette lame.
Elle avait lâché la tête d'Hazel, et le bruit sourd de l'impact avait fini d'achever tout espoir de survie pour ma part. J'étais, cependant, prise par cette sensation étrange. Cette sensation qui nous vient quand la fin approche à grands pas ; ce paradoxe des envies qui, posées entre deux chaises, ne nous pousse pas à choisir. Entre le désir d'en finir, et celui de ne pas avancer, j'étais bloquée, pétrifiée. Pourtant, c'était si simple d'en finir, mais je n'y arrivais pas, je ne pouvais pas. Tout mon être me forçait à rester dans cet état étrange où rien ne change. Dans ce statu quo perpétuel où, délibérément, mon subconscient, ne choisissait pas.
– Si tu tentes quoique ce soit, menaça Asenath, je l'égorge !
– Tu n'oserais pas... souffla la Régisseuse.
– En es tu bien sûre ? répliqua-t-elle sur le même ton, glissant doucement la lame.
Une goutte de sang avait perlé à l'extrémité du couteau ; la Régisseuse, fidèle à son stoïcisme absolu, ne bougea pas d'un pouce, contrairement à son frère qui, d'un pas rapide, s'était avancé d'un mètre avant de se faire arrêter par sa sœur. Elle lui avait ordonné de se stopper d'une main levée.
– Kaÿlar, pauvre idiot, siffla-t-elle entre ses dents serrées. Reste à ta place, et surveille nos deux fugitifs.
– Tu ne comprends pas que tu as perdu, précisa Asenath. Tu as perdu et ça ne sert plus à rien de te débattre Lyscie, ta place sera la mienne, et ton règne se termine ici.
– Et tu oses m'appeler par mon prénom... dit-elle avec un petit sourire.
– Oui, puisque maintenant, tu n'es plus rien. Toi, tu as tué une garde royale, tu as ouvert les portes sacrées, et, par-dessus tout...
Elle laissa un petit blanc, me lança un regard direct, puis continua très-lentement :
– Tu as laissé échapper la préférée de sa majesté. Pire, tu l'as aidé à s'enfuir... Que dirait-elle quand elle saura tout ça ?
– Ce tissu de mensonge ? rétorqua la Régisseuse, à peine impressionnée.
– Ça sera ta parole contre la mienne, sauf que j'ai des preuves, et ils sont devant mes yeux.
– Et qu'est-ce que tu comptes faire après ça ? Quel est ton plan ? vas-y, éclaire moi de ta sainte lumière emplie de vérité, ô grande Asenath, murmura-t-elle d'une voix calme et suave.
– Je ferais bien mieux que toi, garce ! Les rebelles me suivent au doigt et à l'œil, un mot de ma part, et ils s'en iront, sans rien dire, sans protester.
– Les rebelles ? demanda-t-elle, presque hilare. Mais pauvre sotte ! tu ne t'es toujours pas rendu compte que ta petite rébellion n'a eu lieu seulement parce que je l'ai voulu ?
– Qu'est-ce que tu racontes ?
La Régisseuse émit un petit rire dédaigneux, avant de souffler longuement. C'était étrange, car elle gardait toujours cette posture de grand vainqueur, même dans cette situation critique. Alors, prenant ensuite une grande inspiration, elle lui dit :
– Qui a durci les lois ? qui a fermé les yeux sur l'arrivée massive d'étrangers dans les faubourgs ? Valderague garde en elle sa xénophobie d'antan, cher à ses valeurs, même si elle se montre plus clémente pour se donner une meilleure image envers les autres royaumes... Et aussi, qui a drastiquement rétréci les aides aux plus démunis ? Qui a laissé se dérouler l'attaque contre la reine, tout en sachant qu'elle allait se produire ? Oui, tu commences à comprendre Asenath, tu n'es qu'un pion de plus sur mon échiquier, et mes desseins sont bien au-delà de ton pauvre esprit.
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Royal lagoon (GxG)
FantasyÀ l'annonce de la découverte d'un nouveau trou bleu, un groupe de jeunes explorateurs se rendent dans le triangle des Bermudes pour tenter de percer son mystère. Chacun a ses raisons d'y aller : la soif de gloire, de richesse ou de reconnaissance...