Partie 2 - Chapitre 21

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J'étais dans les jardins, perdue au milieu de buissons taillés en couloirs, envahie de tous les côtés par les senteurs musquées, sucrées et vanillées des plantes exotiques de la reine. La forte odeur florale et sauvage de ce coin dérobé m'empêchait, par moments, de réfléchir convenablement tant il me prenait aux narines ; et pourtant, je devais me concentrer, rassembler mes idées, ce que je fis non sans mal. On ne pouvait réfléchir en paix entourée par tant de volupté, prisonnier dans cet air chargé en senteur enivrante ; et mes doigts tremblaient, par ma découverte, bien sûr, mais aussi à cause de l'ivresse que me provoquaient les plantes qui m'entouraient.

Et je ne trouvais pas la suite des lettres. J'avais beau chercher, je ne la trouvais pas. Qui était cette « pauvre fille » ? cette question qui, d'une évidence sans nom, avait une réponse simple, limpide et claire ; cette « pauvre fille » c'était moi, et personne d'autre que moi. Mais je ne voulais pas me l'admettre tant que je n'en étais pas totalement sûre. Je refusais de croire que, dans tous ces bouts de missives volées, aussi cryptiques les unes que les autres, ma personne soit incluse à ces sombres affaires. Qui, ou qu'est-ce qu'est « Grande-Betiana » ? quelle cause ? quelle armée ? Il y avait des questions, derrière ces mots, dont les réponses me brûlaient les lèvres.

J'avais cette étrange impression de passer à côté de certaines informations primordiales, comme si le destin tout entier de Valderague avait tenu sur ces bouts de papier si facilement volés ; mais ça m'importait si peu, je voulais, à ce moment-là, et aussi stupide que ce fusse, savoir pourquoi j'étais moi aussi mentionnée au milieu de toutes ces manigances et coup-bas politiques.

Et enfin, après avoir retourné deux ou trois feuilles, pareille à une recherche infinie, j'étais tombée sur quelque chose d'intéressant.

C'était l'autre écriture, pas celle de la Régisseuse :

« Chère Lyscie, chère sœur, la nouvelle de l'attaque vient de me parvenir. Quelle aubaine nous avons que cette fille ne soit pas morte. Elle occupera la reine quelque temps encore, et je n'aurais donc pas à envoyer d'esclave de Grande-Betiana. Le général Marshall m'aime bien, mais il m'a fait comprendre que les autorités surveillaient de près les disparitions ces derniers temps ; un certain Dragnar ralentirait ses plans. Dans tous les cas, garde cette gamine sous ton contrôle, elle nous sera très utile par la suite... »

Les bras m'en tombaient. Je n'étais finalement qu'un simple pantin de la régisseuse ; un pantin aux services de la reine. Et moi qui me croyais au-dessus de ça. Bien évidemment, j'étais tout à fait consciente de ne pas être la pièce maîtresse de la cour, mais je me sentais si proche de la reine, si privilégiée, que le mince espoir d'être importante avait poussé au creux de mes pensées.

Et puis la lettre continuait, c'était de mal en pis :

« ...quand notre avènement viendra, nous pourrons la jeter aux oubliettes, ou la laisser à la merci du peuple ; et je me chargerais personnellement de son camarade, de cet odieux personnage qui a osé poser ses yeux sur toi... »

Et c'était une colère noire qui m'avait envahie ; pareille à une soudaine douche de lucidité, froide et brutale, la raison me revenait. Moi qui avais prêté allégeance à la reine et à la régisseuse, je m'étais rendu compte que tout cela n'était qu'une mascarade et que finalement, je n'étais qu'une moins-que-rien à leurs yeux, pire qu'un pantin ; un pansement charnel, un jouet jetable, mes premières intuitions étaient donc la bonne. Alors, à ce moment-là, je n'avais plus qu'une seule envie, une envie accompagnée par une amertume qui me noua la gorge, et c'était de m'enfuir d'ici, m'enfuir d'ici ou tout rendre en cendre.

– Andréa ! Tu es là ! m'appela Ruth que je reconnus à sa voix atypique, cassée.

Je me retournai d'un coup d'un seul, avec le visage contorsionné par la rage, et je tendis les papiers vers Ruth, en lui disant :

Royal lagoon (GxG)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant