Partie 1 - Chapitre 4

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Une lourde armure, d'un alliage que je ne pourrais qualifier, teintée d'or et de cuivre, parcouru par un liseré d'ivoire, se tenait au-dessus de moi. Immense et scintillant, les reflets du soleil rebondissaient dessus, l'entourant d'un halo cuivré. Une longue cape pourpre coulait de chaque épaule et épousait à merveille les courbes lumineuses de cette personne.

Il y avait tant de détail sur cette tenue, que mon regard ne pouvait s'arrêter de l'explorer. Le métal était gravé – par une main de maître très certainement – et çà et là se dessinait des motifs aériens, légers et floraux. Sur sa poitrine reposait une tête de lion sculptée à même le métal ; et l'animal majestueux avait une expression de colère, et ses dents s'illuminaient d'un reflet doré.

De longues et imposantes jambes solidement fixées au sol, que j'avais alors supposée musclées, portaient cette armure à elles seule. Les botes qu'elles revêtaient étaient – à l'opposée de la panoplie complète – anguleux, brutes, droites. Néanmoins, elles aussi, possédaient les mêmes fioritures que le reste de l'équipement, le même style, la même facture.

Mais le détail le plus saisissant, et loin devant tout le reste, fut le casque. À lui seul, il sublimait toute l'armure. Il lui couvrait la tête entière et représentait un visage féminin, hypnotisant, captivant, irrésistible et irréel à la fois.

Des lèvres d'un rouge vermeil, étirées en un discret sourire, pulpeuses et lumineuses. Un nez droit, finement dessiné, remontant entre deux sourcils élancés en deux paires d'ailes. Et deux paires d'yeux, l'une au-dessus de l'autre, fixés sur ma personne, provoquaient en moi d'étranges sensations.

Mes yeux, à moi, ne se fatiguaient pas de contempler ce visage fantastique ; et de part et d'autre de ce dernier, en partant de la base des oreilles, se prolongeait des sortes de cornes aplaties. Cornes qui étaient gravées des plumes, incrustées de minuscules pointillés scintillants.

Je ne savais que faire, ni que dire, face à cette figure impressionnante ; et j'étais si subjuguée, si impressionnée, prise d'une torpeur onirique, qu'il m'avait fallu deux tentatives pour me relever. Et j'eus autant de mal à me dévêtir de casque brisé.

Seulement, et quand enfin, je tenais, tant bien que mal, sur mes deux jambes, la personne en armure sortit de son dos une longue tige d'un noir obsidienne. L'extrémité supérieure de cet étrange bâton se terminait en un cercle de taille moyenne. Piqués d'une curiosité nouvelle, mes yeux se détachèrent pour la première fois de l'armure pour se poser sur cet objet.

J'eus compris son utilité – bien trop tard – une fois ledit bâton en action.

Avec la rapidité de l'éclair et la force du tonnerre, ce mastodonte de cuivre et d'or dirigea cette tige vers mon cou ; et en un claquement de doigts, le cercle s'ouvrit pour se refermer aussitôt entre mes épaules et ma mâchoire.

Mes mains avaient saisi cette arme par réflexe et déjà une douce pression me comprimait le cou. Je pouvais entendre tout autour de moi des murmures et des étonnements ; et je savais que je ne pouvais rien tenter face à cette montagne d'armure, qui de ses mains fermement accrochées à son arme, me tenait en laisse tel un vulgaire animal.

– Que... qu'est-ce que vous me voulez ? balbutiai-je, mes mains toujours cramponnées au bâton.

– Qui es-tu ? D'où viens-tu ? me demanda l'armure, penchant sa tête légèrement sur le côté.

C'était bel et bien une voix de femme qui raisonnait de l'autre côté de ce casque. Une voix aux sonorités exotiques, d'un accent que je ne connaissais pas ; elle était aérienne, chantante, légère et rassurante, mais non moins étrange. L'écho que produisait sa voix sur le métal hérissa mes poils, et une myriade de frissons parcoururent ma peau.

– Andréa ! répliquai-je.

– D'où viens-tu ? demanda-t-elle de nouveau, me tirant un peu plus vers elle.

– De... de... France ! J'étais sur un bateau, avec d'autres personnes, on était quatre, oui voilà quatre, il y avait le trou bleu, près des Caraïbes, notre équipement de plongée qui était enfin, on voulait absolument le voir, j'y ai plongé, et il y a eu l'accident, puis je me suis évanouie et... et...

Je m'étais arrêtée, me rendant compte que je venais de vomir mes souvenirs dans un flot de phrases discontinues et confus. Allaient-ils, tous autant qu'ils étaient, me prendre pour une folle ?

– Et vous ? repris-je, qui vous êtes ? Où je suis ?

Pas de réponse, mais les chuchotements tout autour de moi ne cessèrent de s'accroître. Elle pivota, faisant un demi-tour, et me tira d'une facilité déconcertante ; la foule s'écarta sur mon passage ; l'armure s'avança ensuite, m'obligeant à marcher en reculant, puis d'une voix impassible, me dit :

– Tu es ici une étrangère, aucun droit ne te revient. Et en attendant ton jugement, mon devoir est de te conduire en prison. Car, en venant ici, en violant nos eaux sacrées, tu as contrarié nos Dieux.

Ses mots étaient froids, sans émotion, d'une monotonie constante, invariable. Mon sang, gelé par la peur et l'incompréhension, s'écoulait dans mes veines à une vitesse dangereuse ; et mon cœur battait de plus belle. Je ne pouvais résister.

Après quelques pas dans cette position inconfortable, la femme en armure me souleva du bout du bâton, avant de me jeter dans une grande boîte noire, une sorte de cage faite de bois. C'était en réalité un véhicule tiré par des chevaux. Du moins, je le soupçonnais, puisque qu'à l'instant même où l'on frappa, par trois coups, ma cage, j'eus reconnu le bruit singulier des sabots battant une route pavée de pierre.

Où était cette prison ? Je ne le savais pas. Où je me trouvais ? Je l'ignorais aussi. Qui étaient ces gens ? Je laissais l'avenir répondre à cette question. D'ailleurs, c'était lui qui allait, je l'espérais, résoudre toutes mes interrogations.

Et dans cette cage mouvante, où l'on m'avait jetée comme un animal sauvage, je ne pouvais qu'attendre. Sur chaque mur se découpait des petites fenêtres condamnées par des barreaux et la lumière du jour y pénétrait péniblement. Je me précipitai sur la fenêtre qui donnait – je l'imaginai – sur le ou les conducteurs ; et quelle ne fut pas ma surprise quand je découvris que la femme qui m'avait capturée avait retiré son casque.

Je n'aperçus son visage que de trois-quarts, et une couronne de laurier, blanche d'ivoire, perdue dans les ondulations naturelles de ses cheveux, s'y détachait à merveille. Ses cheveux, d'un brun châtaigne coulaient en travers de sa nuque, pour ne choir que sur l'une de ses épaules. Sans que ma main n'y plonge – de la seule supposition de mes yeux –, je les savais soyeuses, lisses, douces au toucher. Et pourquoi cette envie irrépressible, insatiable, d'y plonger mes doigts me les brûlait ?

Je ne pourrais le dire, mais peut-être, se doutait-elle de mon regard, de cette envie, car elle se retourna complètement. Et mes yeux croisèrent les siens, et jamais je n'ai vu de prunelles aussi perçantes. Nulles émeraudes ne pouvaient rivaliser face à ce vert taché de miel.

Royal lagoon (GxG)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant