Je marchais avec la régisseuse dans un long couloir du château. Le soleil, timide encore en cette heure matinale, rentrait par les hautes fenêtres – du genre baroque – qui jalonnaient le mur à notre droite. Je m'étais habituée au silence de cette énorme bâtisse, quand toutes les personnes qui la faisaient vivre dormaient encore ; et seule la robe noire de la régisseuse, dans un frôlement délicat sur les dalles polies, murmurait dans ce calme absolu.
J'eus eu profité de ces moments hors du temps, unique, durant mes longues nuits d'insomnies ; il m'arrivait de me promener, de me laisser guider par les lueurs nocturnes, par la fraîcheur saisissante des jardins, quand seules les étoiles me tenaient compagnie. J'avais l'impression de m'approprier ce monde, ce monde qui me paraissait si vaste, infini, enivrant.
La régisseuse me demanda, d'un air concerné, tout en regardant droit devant elle :
– Andréa, comment vous sentez-vous ?
Et moi, après une courte hésitation :
– Bien... enfin, je suppose.
– Avez-vous du mal à dormir ? Vous sentez-vous fatiguée ? plus que d'ordinaire, je veux dire.
– Oui, dis-je simplement en levant les épaules.
C'était la première fois que quelqu'un s'inquiétait de mon état de santé, alors après une réflexion, je repris :
– J'ai cru comprendre que... mon état allait s'empirer, avant de se stabiliser. Je ne dors pas beaucoup et puis... J'ai des visions, des sortes de cauchemar la nuit-
– Si jamais ces angoisses venaient à être trop "réelles", me coupa-t-elle, prévenez-moi. Il ne faut pas prendre ces hallucinations à la légère. Dans certains cas, cela pourrait vous causer...
– La mort ?
– Entre autres.
Un frisson avait m'avait traversé le corps ; et la régisseuse, en s'arrêtant, me dit, un sourire aux lèvres :
– Il serait fort dommage de vous perdre aussitôt.
On avait fini notre petite balade devant son bureau. Il était situé dans la tour, à quelques étages, deux ou trois, je ne sais plus, je ne les avais pas comptés. Elle m'avait laissé l'honneur de rentrer la première, après avoir ouvert sa porte, à l'aide d'une clef qu'elle avait extraite d'un pli caché de sa robe. C'était une clef savamment belle, dans un style Art nouveau, toute dorée, fine et élancée. Les cliquetis secs de la serrure avaient sonné de ce bruit atypique des vieux mécanismes métalliques ; et dans un son satisfaisant, ils eurent indiqué que la porte était ouverte.
La régisseuse avait un bureau modeste, à peine plus grand que ma chambre ; il était meublé de plusieurs bibliothèques, remplis à ras-bord de livres, de parchemins, de papiers volants, et autres manuscrits ; de plantes tropicales, posées çà et là ; d'une méridienne à velours, juste à côté d'une fenêtre qui, se mêlant parfaitement aux multiples cadres accrochés au mur, donnait une vue saisissante sur tout le royaume ; d'un grand miroir qui s'élevait jusqu'au plafond ; d'un grand fauteuil à long dossier ; et, la pièce maîtresse, classe et vernis, pareille à un monument au milieu de ce parfait diorama, une table massive, d'un bois sombre, à l'allure d'écritoire surdimensionné.
Cette pièce était à peine plus grande que ma chambre, oui, mais son agencement, son atmosphère, l'emplissait d'un espace infini, comme si, derrière les bibliothèques ou derrière ce fauteuil, se trouvait une porte dérobée qui mènerait à une autre bureau, tout aussi grand par sa beauté.
Et il planait dans l'air, dans cette poussière d'or qui virevoltait au soleil, ce doux parfum de papier, cette odeur de livre, de mots écrits, d'histoires figées ; ce parfum qui, sans être le plus extravagant, sans grande prétention et d'une nudité timide, candide, m'avait saisie d'une vive nostalgie.
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Royal lagoon (GxG)
FantasíaÀ l'annonce de la découverte d'un nouveau trou bleu, un groupe de jeunes explorateurs se rendent dans le triangle des Bermudes pour tenter de percer son mystère. Chacun a ses raisons d'y aller : la soif de gloire, de richesse ou de reconnaissance...