Il y a des silences comme ça, qui signifient plus qu'un long discours, qui pèse plus que mille mots d'une tirade de maître. Ce genre de silence qui se fait rare, et qu'on remarque seulement si on y prête attention, aussi écrasant que grisant et à la limite du mystique. C'était comme si le temps lui-même s'était tu, que la vie reprenait son souffle. Et bien le silence qui régnait dans la salle du trône, s'apparentait à celui-là. Les murmures s'effaçaient petit à petit et les regards devenaient de plus en plus fort.
La reine, dont j'ignorais encore le nom, regarda à peine mon compagnon, moi non plus. Et son visage, si doux et autoritaire à la fois, avait des rondeurs chatoyantes avec sa couronne et sa chevelure. Ses yeux intéressés paraissaient s'user à me regarder et son sourire grandissait. Il me tardait alors de lui jouer de cet instrument, de lui montrer ce que je savais faire ; monta ensuite en moi, jusqu'au débordement, cette oppression habituelle que ressente les artistes avant de monter sur scène, le trac.
Et mes tripes se tordaient dans une tempête de stress et d'anxiété ; je sentais mon repas faire le chemin inverse, et ma digestion sauter les étapes. Il semblerait qu'à ce moment-là j'étais devenue toute blanche, comme un fantôme, car la reine avait changé brusquement d'expression ; elle passa de l'envie à l'inquiétude, et de l'inquiétude à une déception sourde.
– Ça va aller ? me demanda Ruth, une main sur mon épaule.
J'acquiesçai vivement de la tête en pinçant les lèvres. C'était faux. Je voyais trouble et le sol se dérobait sous mes jambes.
– Tout va bien se passer, j'en suis sûr ! me rassura-t-il à voix basse.
Je restai là, la tête baissée, le dos courbé, les deux mains posées sur mes genoux, la respiration forte.
– Si vous n'êtes pas prêts, revenez plus tard, nous dit la reine d'une voix qui portait loin. Ne me faites pas perdre mon temps à vous attendre.
Je sentais dans sa voix cette déception amère qu'elle avait au fond d'elle. Sans doute, je venais de la décevoir. Mais il me semblait naturel d'avoir ce genre de réaction quand sa vie était en jeu. Néanmoins, je devais me rattraper ; et si par malheur, je venais à tomber, c'était seulement pour rebondir plus haut encore. Alors, je me relevai, d'un coup d'un seul, feignant l'assurance en rassemblant le peu qu'il me restait.
Et d'un regard quelque peu assuré, droit dans ses yeux, je lui dis, le torse en avant, les épaules ouvertes :
– Nous sommes prêts, je vous l'assure. Et c'est tout de suite que nous allons vous jouer un morceau. Car, comme je l'avais dit à Asenath, nous vous donnerons la meilleure représentation que vous n'ayez jamais eu.
– La meilleure ? répéta-t-elle de nouveau intriguée et amusée. C'est une belle promesse que vous me faites là. J'espère que ce ne sont pas des paroles en l'air.
– Non, dis-je sans vaciller.
Tout mon trac s'était envolé comme par magie ; remplacé par la folie ou le courage, je ne le savais pas encore. Et toujours sur le même ton, sur la même lancée, je continuai :
– Ma reine, laissez nous vous transporter, le temps d'une balade, le temps d'une chanson, et je peux vous affirmer que vous ne le regretterez pas.
La petite foule de dames s'était mise à nouveau à murmurer dans un roulement de mots entremêlés. Cette douce effervescence de curiosité s'était éveillée en écho, et çà et là dans la salle, des remarques nous étaient adressées.
Ses lèvres étaient pleinement étirées, j'avais osé l'appeler « ma reine », une surprise qui semblait la ravir. Elle s'était redressée de son trône, et posa son menton dans sa paume. Elle semblait très-prête à nous entendre jouer ; et dans ses yeux se mêlaient cette autorité de fer et cette douceur de velours. Alors, d'une voix quelque peu langoureuse et traînante, elle nous dit :
VOUS LISEZ
Royal lagoon (GxG)
FantasyÀ l'annonce de la découverte d'un nouveau trou bleu, un groupe de jeunes explorateurs se rendent dans le triangle des Bermudes pour tenter de percer son mystère. Chacun a ses raisons d'y aller : la soif de gloire, de richesse ou de reconnaissance...