La combinaison de plongée ne me collait pas parfaitement à la peau ; je sentais à quelques endroits, surtout au niveau de mes coudes et genoux, le pincement du tissu élastique. La douleur était supportable, mais non moins désagréable. La tenue complète était faite en deux parties.
La première, – celle que j'avais déjà revêtue – composée d'une toison de polymère me couvrait de la tête aux pieds, laissant seulement un trou au niveau de mon visage. Elle avait pour but premier de me protéger de la température glaciale de l'eau. Cette combinaison de facture médiocre, qui fut achetée au rabais, épousait les formes de mon corps d'une manière étonnante et quelque peu plaisante.
La deuxième, la plus primordiale, celle qui garantissait ma survie dans les couches profondes de l'océan, se résumait en une multitude de morceaux de scaphandre, épaulettes, avant-bras, plastron, genouillères, gants et autres jointures ; ces morceaux-là s'emboîtaient non sans mal les uns dans les autres.
Une fois close dans cette armure, – de caoutchouc, de métal et de verre – mes mouvements étaient limités. Je ne me sentais pas à mon aise et les rubans adhésifs, qui reliaient tant bien que mal certaines parties du scaphandre, ne me rassuraient nullement.
J'y entendais comme dans une bulle. Une bulle anxiogène qui ne laisserait passer que les sons graves ; qui déformerait la vison périphérique, la diffractant en un discret arc-en-ciel tricolore – de rouge, de vert et de bleu –, une sorte d'aberration chromatique presque imperceptible. Mon souffle, rapide et chaud, ne cessait de créer de la buée sur la vitre à quelques centimètres de mon nez.
Et enfin, plus que de me mouvoir, il m'était difficile de regarder autour de moi, d'appréhender les distances.
Nous étions déjà arrivés au trou bleu, qui se situait près d'une petite île non répertoriée des Caraïbes, quand j'eus fini tous les préparatifs. J'avais même eu l'occasion de faire les vérifications une deuxième fois. Et comme à la première itération, tout mon équipement était fin près.
– Ok Andréa ! me dit Viviane par la radio qui me relier au bateau. Je pense que tout est ok !
Sa voix grisaillait, de manière variable, à travers les hauts parleurs de mon casque ; et quand elle n'avait rien à me communiquer, les parasites remplaçaient le bruit blanc habituel de ce genre de radio. Je ne pouvais dire si c'était un défaut de conception ou non, mais au vu de la qualité de mon équipement de fortune, la réponse était vite devinée.
– Peux-tu m'activer la caméra maintenant ? demanda-t-elle. Je voudrais tester l'enregistrement vidéo avant que tu ne plonges.
Je m'exécutai, tâtonnant de ma main – emmitouflée dans son gant – mon avant-bras, où se trouvait les boutons de commande. Une faible pression plus tard et deux petites lumières, de part et d'autre de mon casque, s'allumèrent l'une après l'autre. D'abord scintillantes, elles semblaient se synchroniser, pour enfin, briller en même temps. Leur lumière blanchâtre n'éclairait rien en plein jour ; et je supposais qu'elles allaient m'aider dans les profondeurs, où j'allais m'inviter.
– Ok, c'est bon, tu peux l'éteindre ma belle, dit elle. Tu penseras à la rallumer au moment de la descente, hein ?
– Oui, t'inquiète.
Je sentais dans sa voix, malgré son sourire évident et la basse qualité de la radio, une pointe d'amertume. Mais ce n'était rien par rapport au regard des autres. Surtout celui de Dimitry. Plus noir que jamais, les yeux de ce dernier, s'ils le pouvaient, m'auraient déjà fusillée.
Il m'était arrivé, lors de ma préparation et à plusieurs reprises, de vouloir abandonner ma place. Mais une force en mon for intérieur me l'interdisait. Si le hasard m'avait fait don ce voyage, mon subconscient, lui, ne voulait la rendre.
– Ça va aller ? me demanda Marco que j'entendais d'une voix tamisée.
– Oui, ça va aller... enfin je l'espère.
– Si jamais tu ne remonterais pa-
– Parle pas de malheur Marco ! rétorquai je, sèchement.
Et ma réponse aussi abrupte qu'elle fut, venait de jeter le jeune étudiant dans mes bras. Cette étreinte surprise, mais non sans vigueur – et bien que Marco était plus une connaissance qu'un véritable ami – eut un effet revigorant, l'équivalent d'une parole apaisante portée par un orateur de génie. Cependant, et après cette accolade volée, l'apprenti archéologue n'ouvrit plus la bouche jusqu'à mon départ.
Flavien quant à lui, me fit un pouce en l'air et portait sur son visage un sourire faux. Si j'étais paranoïaque, j'aurais pu penser que ses yeux me souhaitaient de mauvais augures ; mais je préférai laisser cette idée obscure à mon imagination, encore agitée par le stress.
Je ne pouvais m'empêcher de me sentir coupable. Coupable d'avoir était choisie par deux vulgaires bouts de plastique.
C'était ce sentiment de culpabilité, ancré maintenant au plus profond de moi, qui vint achever ce sinistre tableau, l'ultime image qui me resterait de l'équipage. La dernière vision d'un monde que j'étais sur le point de quitter.
L'heure était venue pour moi de plonger dans l'insondable ; et en moins de temps qu'il me fallait pour le penser, pour l'imaginer, pour le préparer mentalement, que tout corps, tout mon être se trouvait sous l'eau.
À tomber vers l'inconnue.
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Royal lagoon (GxG)
FantasyÀ l'annonce de la découverte d'un nouveau trou bleu, un groupe de jeunes explorateurs se rendent dans le triangle des Bermudes pour tenter de percer son mystère. Chacun a ses raisons d'y aller : la soif de gloire, de richesse ou de reconnaissance...