J'étais rentrée après elle. Son bureau n'avait pas changé d'un pouce depuis ma dernière visite ; toujours aussi bien rangé, aussi bien habillé, enveloppé dans ce parfum de vieux manuscrits et autres livres anciens... Quoique, quelques papiers volants traînaient à présent et aux pieds de son fauteuil et un peu partout sur sa table. Ce petit détail, ce désordre minime, apportait une touche étrange à la pièce, comme si un vent espiègle avait décoiffé tout l'agencement millimétré de la régisseuse ; et ces papiers, froissés pour la plupart, détonnait avec toute la classe et la droiture qui rayonnaient d'habitude de sa personne.
Elle remarqua mes yeux baladeurs, me sourit et me dit :
– Je sais que ce n'est point distingué que de recevoir dans un tel désordre. J'espère que vous ne m'en tiendrez pas rigueur ?
Elle avait déboutonné l'un des boutons noir, juste au-dessus de son décolleté, et en attendant ma réponse, elle s'assit à son bureau tout en tâchant de ne jamais me quitter des yeux ; et moi, trop hypnotisée par cette chair que je ne m'attendais pas à voir, restai la bouche à demi-ouvérte, les pensées troubles. Alors, comme pour se jouer de moi, et je ne savais pour quelles raisons, elle s'avança, s'appuya sur ses mains, mettant encore plus avant sa généreuse poitrine. Puis, elle se racla la gorge, l'air de dire « mes yeux sont plus haut. »
– Non, ça ne me dérange pas, balbutiai-je en battant frénétiquement des cils.
– Très bien !
Elle s'installa finalement au fond de son fauteuil, prit son cahier – celui que je devais substituer – et l'ouvrit à l'aide du marque-page en tissu rouge. Puis d'une voix doucement grave, et à la limite du murmure :
– Alors, en ce qui concerne la cérémonie de l'héritière, je vous disais donc que la reine doit tout d'abord choisir un géniteur. Beaucoup d'hommes, du monde entier, viendront dans les jours qui suivent, rien que pour espérer être choisi par la reine ; mais la situation actuelle fait que c'est à moi, de choisir le géniteur. Il est hors de question que la reine, avec tout ce qu'ils se passent dehors, rentre en contact avec ces barbares...
Elle biffa, d'une main leste et nonchalante, quelques lignes sur la page qui était ouverte devant ses yeux, puis :
– Et quand j'aurai choisi l'heureux élu, quand je me serai assuré de ses attentions, de sa pureté, de sa loyauté, alors je le présenterai à la reine.
– Alors, ça veut dire que la reine va...
– Que la reine va devoir coucher avec lui, acheva-t-elle simplement. Nous avons de quoi nous assurer une héritière, mais pour le moment, nous ne pouvons pas nous passer d'eux, malheureusement.
Et d'une voix sombre, le regard noir :
– Mais ce privilège a un prix, celle d'une d'une vie...
– Un prix ?
– Je vous avais dit que de participer à la cérémonie de l'héritière valait plus qu'une vie ; et bien le prix, c'est ça : une vie. Ces bêtes-là sont prêtes à sacrifier la leur pour pouvoir coucher avec la reine...
– Et pour... pour moi ? Je...
– Vous n'avez rien à craindre. D'ailleurs, vous n'allez pas interagir avec le géniteur, non plus. La reine fera ses affaires, puis une fois terminé, le géniteur se tuera, pour honorer sa parole ; puis la reine viendra vous voir. Et là, je vous laisserais découvrir la surprise par vous-même...
Elle me sourit à pleine dent, d'un ravissement taquin, presque enfantin, puis :
– Asseyez-vous, je vois que vous êtes tendue. Laissez-moi finir d'écrire cette lettre et je vous servirai de quoi vous détendre.
Et elle se mit à sa besogne ; elle avait une écriture rapide, nette, précise, et avait noirci – en un rien de temps – de lignes noires un petit carré de papier blanc. Elle plia alors ledit papier, le rangea dans son cahier, comme si elle le gardait pour plus tard, et se leva. Entre temps, je m'étais assise en face d'elle, et seule sa plume eut bruissé le silence étouffé par les murs de la pièce. La régisseuse avait pris, derrière quelques gros livres d'une de ses bibliothèques, une petite fiole à l'allure de flasque en verre, vert sombre, et deux petites tasses en porcelaine, très-mignonnes, aux motifs floraux.
– De quoi vous libérer les esprits, me dit-elle en posant l'une des tasses devant moi. Et de vous faire oublier la douleur, aussi, ajouta-t-elle en regardant ma jambe blessée.
– Qu'est-ce que c'est ? dis-je d'une voix hésitante, ne sachant pas si je pouvais refuser son invitation.
– Une liqueur à base d'épices et de plantes médicinales, retorqua-t-elle simplement avec un petit sourire en coin.
Elle me servit ensuite, avant de verser le même mince filet d'alcool dans sa tasse. Et quelques secondes seulement avaient suffi pour que l'odeur saisissante de la liqueur m'attaque les narines ; je devinai alors le haut degré de ce spiritueux, et ma gorge chauffait déjà, sans même y tremper mes lèvres.
La régisseuse revint à sa place, et de sa main droite, elle prit sa tasse, très-délicatement, sans le porter à sa bouche ; de l'autre main, elle jouait avec les longs cheveux lisses et noirs, tout en me regardant. Elle leva alors doucement son verre, comme pour m'inciter à boire, et le fit sans m'attendre. Je ne pouvais donc pas refuser son invitation, puis, il me fallait aussi sa confiance, alors, à mon tour, je bus. Il était fort, vraiment fort, presque tout aussi sucré ; l'alcool avait l'odeur du pin, ainsi que le goût, la bouffée de chaleur en plus ; puis vint enfin un arrière-goût de menthe.
– Pardon, dis-je les joues enflammées de tâches roses pâles et la voix étouffée dans une petite toux.
Elle sirota, toujours du bout des lèvres, son verre, me regarda avec un sourire discret, et me dit :
– Alors, vous avez des questions, par rapport au rituel ?
– Non, pas vraiment, murmurai-je.
Mais en réalité, j'étais quelque peu stressée par cette histoire de rituel ; je me demandais surtout à quoi je pouvais servir, comme je ne devais pas... pratiquer la chose avec la reine et l'heureux élu. Et comme la régisseuse voulait garder la partie qui m'intéressait secrète, je lui dis, de but en blanc, les yeux dans les yeux et d'une voix très-calme :
– Pouvez-vous me parler des portes ? Celles qui permettent de passer d'un monde à l'autre, du vôtre au mien.
Sa tasse manqua tomber de ses mains, et une gorgée lui était restée bloquée en travers de la gorge ; c'était bien la première fois que je voyais un début de panique sur son visage, mais très-faible certes. Elle se racla alors la gorge, croisa ses mains, et se pencha au-dessus de son bureau. Puis, très étonnée, elle me demanda :
– Pourquoi ces portes vous intéressent-elles subitement ?
Mais ses yeux me disaient « est-ce que vous voulez vous enfuir, Andréa ? » Et moi :
– Non, ce n'est pas ce que vous croyez. Je suis très bien ici. Je me posais juste quelques questions sur le fonctionnement de ce monde. Je me disais qu'il était peut-être temps pour moi d'en savoir plus, de m'impliquer davantage à la vie du royaume, connaître les coutumes, les légendes...
Je voulais gagner sa confiance, mais je ne voulais pas suivre les plans d'Asenath, trop instables et imprévisibles à mon goût. Alors, une idée me vint ; je m'avançai vers elle à mon tour, lui saisit doucement la main, et d'une voix suave, presque dans un murmure :
– J'ai envie de passer du temps avec vous, Régisseuse.
Et semblait-il que ce fût réciproque, que son comportement équivoque n'était pas une simple taquinerie envers moi, parce que déjà, sa poitrine s'élevait au rythme de sa respiration, et elle contenait non sans mal un sourire naissant qui lui étirait petit à petit les coins de ses lèvres ; elle me rendit mes caresses et son regard s'intensifia.
Je m'étais relevée, gardant sa main dans la mienne, fis le tour de son bureau, et vins à ses côtés. J'avais une vue imparable sur son décolleté, et la vérité était que sa personne ne m'était réellement pas indifférente. Mais cette fois-ci, je devais garder mes esprits clairs, et jouer un rôle. Il fallait que je prenne les choses en main, ma survie en dépendait ; et jouer de mon charme semblait être drôlement efficace.
C'était comme ça que je voulais gagner sa confiance et baisser sa garde.
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Royal lagoon (GxG)
FantasyÀ l'annonce de la découverte d'un nouveau trou bleu, un groupe de jeunes explorateurs se rendent dans le triangle des Bermudes pour tenter de percer son mystère. Chacun a ses raisons d'y aller : la soif de gloire, de richesse ou de reconnaissance...