Partie 2 - Chapitre 5

774 76 7
                                    

Il avait dans ses yeux ce regard de défi, de provocation désinvolte, et les commissures de ses lèvres s'étiraient en un sourire sournois. Sebastian s'était complètement relevé et se tenait, devant moi, droit comme un I, ses deux mains posées sur ses hanches. Il attendait de ma part une réaction, quelques troubles sûrement, au vu de cette phrase sourde de malheur qu'il eut prononcé comme un mauvais augure, ou une mise en garde.

Sa respiration lente et bruyante empestait l'alcool. On était à peine à l'heure du dîner et il était déjà rond comme un tonneau, les joues et le nez quelque peu rosis par la boisson ; et je pouvais sentir son haleine de poivrot me fouetter le visage à chacun de ses souffles. Pourtant, malgré cet état second d'homme soûl, il n'avait pas ce faciès troublé par l'ivresse, ni ce doute, ce regard vague dans les yeux, d'ordinaire présent chez ceux qui boivent trop.

Il avait la lucidité des personnes habituées à l'alcool, son esprit était un lieu que l'ivresse ne pouvait plus corrompre, car déjà trop ravagé par cette dernière. Et je voyais clair dans son jeu ; Sebastian cherchait à me déstabiliser, à reprendre le contrôle, le dessus ; mais il était loin de s'imaginer que, moi aussi, je voulais en découdre, que moi aussi, j'avais de la ressource.

Alors je m'étais rapprochée de lui, sans perdre la face, sans transmettre aucune émotion, tout en gardant un visage grave, sombre, inquiétant ; et, le prenant par le col, puis le tirant un peu plus vers moi, je lui dis, dans un souffle glacial, un murmure que seul lui pouvait entendre :

– Je te l'ai déjà dit, Sebastian, je ne suis pas n'importe qui. Je m'en fiche de savoir que toutes les autres avant moi ont fini morte, folle, ou je-ne-sais-quoi. Je ne serais pas comme elles, j'ai la tête sur les épaules et les idées claires ; alors, ça va être très simple, soit tu es avec moi, soit tu es contre moi... À toi de voir.

Toute la flamme de son indifférence et de sa provocation avait vacillé au fond de ses prunelles ; et déjà un sourire vainqueur m'habillait le visage. Ce grand gaillard, que rien ne semblait perturber, venait de douter, de prendre peur. Sebastian était réellement intimidé, mais, s'écartant de mon emprise d'un révère de main, il dodelina de la tête puis, souffla longuement. Et après une pause, dans une sorte d'aveux, d'une voix lente sans réelle émotion :

– Tu peux toujours te convaincre d'être meilleure que les autres, d'être plus forte, mais prends garde à toi... La reine est... spéciale. C'est tout ce que j'ai à te dire, si tu ne veux pas en savoir plus. Mais sache que tu n'es pas la première, et tu ne ser-

– Tu es avec moi, ou contre moi ?

– Je suis avec personne et encore moins contre quelqu'un ! répliqua-t-il sèchement. Je veux bien t'apprendre ces musiques, si ça t'enchante.

– Bien, dis-je le plus calmement possible. Alors tu vas me suivre et m'apprendre à jouer ces partitions, et ça tout de suite.

– Comme son altesse le voudra, rétorqua-t-il d'une voix faussement joyeuse et avec une révérence piètrement exécutée, à la limite de la moquerie.

J'étais ravie de l'asservissement de Sebastian et de la facilité avec laquelle j'avais réussi à le faire plier. Nous étions revenus dans ma chambre et avions commencé les leçons dans la foulée. Il était resté toute l'après-midi avec moi, au plus grand malheur de Sigrid, et à la surprise de Pripa. La régisseuse avait raison, c'était un très bon musicien et un tout aussi bon professeur.

Il avait son caractère et je ne pouvais rivaliser face à sa verve quand il était question de jouer de la musique ; il était intransigeant, sévère et rude envers moi. Il me répétait que « si tu veux impressionner la reine, sortir du lot, il ne te suffira pas de connaître ses musiques favorites du bout des doigts. Les jouer de tête, c'est facile, mais c'est avec ton cœur que tu dois le faire ! »

Royal lagoon (GxG)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant