Partie 1 - Chapitre 1

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L'océan était calme et le ciel dégagé. Pas un seul nuage venait perturber l'imposant soleil des Caraïbes. Quelques mouettes, curieuses et rieuses, venaient, de temps en temps, tournoyer au-dessus de notre navire de fortune.

Ballottée par cette eau imperturbable, notre embarcation avançait sans mal vers sa destination. Et plus on avalait les lieues, plus mon excitation grandissait. Elle s'écoulait en moi, sans discontinuer, faisant battre mon cœur à un rythme effréné. Il me tardait d'arriver au trou bleu.

Trois semaines après l'annonce de la découverte de ce mystère abyssal, il nous avait fallu moitié moins de temps pour former notre équipage.

Dimitry, mon copain, un grand gaillard blond aux yeux bleus, et cliché fini du surfeur californien ; Flavien, son meilleur ami, féru de cétacés en tout genre et fanatique du capitaine Nemo, il a accepté ce voyage sans même négocier ; Vivianne, une trentenaire en manque d'aventures et d'argents, qui a tout plaqué, mari, enfant et amis, pour nous rejoindre ; et Marco, un jeune étudiant en première année d'archéologie, un peu timide et réservé, il était accompagné par sa mère le jour où nous avons levé l'ancre.

Ces deux derniers avaient répondu à notre annonce – une sorte de bouteille jetée à la mer infinie qu'est Internet – avec beaucoup d'enthousiasme. Ce qui ne manquait pas de raviver notre soif d'expédition.

Puis, il y a moi, Andréa. Il était évident, à en crever les yeux, que c'était avec les miens que je voulais voir ce trou bleu. Mais voilà, notre relation avec Dimitry battait de l'aile ; elle était au point mort ; on ne se touchait plus, se parlait que très peu ; et sa présence me devenait de plus en plus désagréable. J'avais beaucoup hésité au début, les premiers jours, à entreprendre cette aventure en sa compagnie.

Force est de constater que sans lui, réunir tout ce beau monde, cet équipage improvisé, relevait du miracle, de l'impossible.

C'était donc à demi-contre cœur que j'avais accepté de faire équipe avec Dimitry.

– On arrive bientôt, me criait Flavien depuis la cabine, dans 15 minutes pour être plus précis. Tu viens, on va faire le point avec les autres. On n'attend plus que toi.

Il levait sa main droite, grande ouverte, pour former une ombre protectrice sur ses yeux. Il m'attendait avec une mine triste et un regard qui disait « mauvaise nouvelle, on a un gros problème ».

– Qu'est-ce qu'il y a ? demandai-je, inquiète.

– C'est compliqué... viens, tu comprendras par toi-même.

Il tourna les talons, puis disparut dans la petite porte. Je le rejoignis d'un pas pressé et me retrouvai devant toute l'équipe. Dimitry était adossé au tableau de bord, les bras croisés, le visage fermé, et les lèvres tordues de colère. Flavien et Marco, tous deux accroupis face à une grande caisse noire, trifouillaient nos équipements de plongée ; quant à Viviane, elle luttait, tant bien que mal, à trouver une fréquence sur la CB, maugréant des paroles inaudibles à voix basse.

Tous semblaient préoccupés par quelque chose.

– C'est quoi le problème ? demandai-je, sans m'adresser à une personne en particulier.

Mais mon regard, usé par l'habitude, se posa sur mon copain. Il souffla, longtemps, puis se releva et donna un coup de pied dans la caisse. Flavien et Marco sursautèrent par cette action surprise, et à vrai dire tout le monde eut un petit soubresaut, tant le coup fût violent.

La caisse glissa jusqu'à mes pieds avant de s'arrêter net au contact de mes chaussures.

– Et bah... qu'est-ce qu'il y a ? demandai-je à nouveau.

– Il y a que les tenues de plongée sont toutes bousillées ! vociféra-t-il d'une voix rauque. Les scaphandres sont inutilisables. Je savais bien qu'on aurait dû les acheter et non pas les louer aux premiers vendeurs ambulants !

– Comment ça, toutes bousillées ? Elles sont déchirées ?

– Pas seulement, rétorqua Flavien d'un ton las. Ce sont surtout les casques qui sont HS, on va dire, et trois des quatre tenues s'effilochent à chaque jointure.

– À la profondeur du trou bleu, ajouta Marco, la pression est telle qu'un scaphandre de mauvaise facture garantira une mort certaine.

– Voilà le problème ! siffla Dimitry, toujours d'une colère noire.

– Il doit sûrement y avoir une solution, dis-je, perplexe. Au pire, on revient demain, non ?

– Pas possible ! Les autorités vont interdire l'accès à la zone dans moins de quelques minutes, précisa Viviane, le nez toujours penché sur la radio. Nous sommes déjà presque des hors-la-loi à l'heure qu'il est.

– Pardon ? Ils n'ont pas le droit ! C'est-

– Il parait que c'est dangereux, continua la trentenaire, trop dangereux.

– Qu'est-ce qu'on va faire alors ? rétorquai-je, la gorge serrée. On ne peut tout de même pas abandonner maintenant ? On est si près du but.

À ce moment-là, l'excitation qui coulait en moi n'existait plus. Le torrent sauvage qu'il était s'était asséché en un minuscule ruisseau, médiocre et faiblard. Je balayais la pièce d'un regard frénétique ; et mes yeux passaient d'un objet à un autre, sans ordre particulier. Je cherchais – au hasard – une solution, une échappatoire, une réponse à ce problème, à ce coup du destin ; il me fallait trouver quelque chose.

Quand soudain, l'idée m'était venu.

– Et si l'on constituait une seule tenue avec les pièces valides des différents scaphandres ?

– Ça voudrait dire qu'une seule personne pourra plonger, répliqua sèchement Dimitry.

– Et on veut tous voir ce trou bleu, ajouta Marco qui s'était relevé d'un bon.

– Andréa à raison, dit Flavien, c'est la meilleure solution, quoiqu'un peu risquée, mais c'est la seule chose qu'il nous reste à faire. On ne peut pas faire marche arrière et on ne peut pas tous y aller.

Une fois la décision prise, chacun s'était lancé dans la constitution de cet ultime scaphandre : notre seul espoir. Il ne restait plus qu'à choisir qui allait le revêtir, qui serait l'heureux veinard, l'élu ?

D'un commun accord, nous avions laissé ce choix-là à l'aléatoire. Chacun notre tour, nous devions jeter deux dés à six faces ; et reviendrait à celui qui obtiendrait le meilleur score – c'est-à-dire la plus grosse somme – le droit de porter la tenue de plongée.

Dimitry ouvrit le bal. Un six et un deux.

Flavien jeta les dés à son tour. Un quatre et un deux apparurent. Dimitry émit un petit cri de joie et la déception se lisait sur le visage de son meilleur ami.

Marco enchaîna d'un geste rapide. Et l'on pouvait lire un deux sur chaque face des deux dés. Dimitry était toujours en tête.

Viviane, qui arborait un visage stoïque, lança les dés nonchalamment, le menton levé. Un deux et un cinq. Elle cracha un juron et d'une rage grandissante, s'enfuit de la pièce, le pas lourd et bruyant.

Il ne restait plus que moi. Et pendant que les dés roulaient dans ma paume, – moite et chaude – je pouvais sentir le poids de tous les regards se poser sur moi.

Je retins ma respiration à l'instant où ces petits bouts de plastiques couleur ivoire quittaient ma poignée. Le temps s'était cristallisé et les dés tournoyaient sans discontinuer. Ce moment qui s'étirait jusqu'à la rupture ne voulait s'arrêter ; à l'inverse de mon cœur, qui me semblait il, ne battait plus.

Deux petits chocs plus tard, ils venaient d'atteindre le sol ; quatre rebonds après, ils s'immobilisaient.

Un double six.

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Bonsoir aux couche-tard et bonjour aux lève-tôt ! Et oui une histoire librement inspirée de la musique en média. Je m'essaye à un nouveau genre et aborde de nouveaux thèmes. J'espère les traiter du mieux que je peux et que le récit vous plaira !

À très vite pour le prochain chapitre ! 😊

Royal lagoon (GxG)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant