Cruelle Virtuosité | T1, T2 & T3 | TERMINÉ

| CHAPITRE 30 |

• Nos craintes se réalisent seulement quand on s'y attend le moins •

~ ☆ ~

...ROSE...

Je regarde l'horloge de la cuisine et remarque qu'il me reste encore deux heures avant de pouvoir retourner à l'hôpital pour mon service d'après-midi. Je bâille à m'en décrocher la mâchoire, comme si j'étais encore fatiguée alors que je viens de faire une grasse matinée pour la première fois depuis longtemps en plein milieu de semaine. Dans l'hôpital, il y a trois services différents : matin, après-midi, nuit. J'en changeais souvent avant l'arrivée de Bogdan mais je n'appartenais pas à deux services en même temps. Avec les demandes incompréhensibles du Virtuose, je me retrouve à passer toute la journée à l'hôpital, ce qui a le don de m'épuiser. C'est pourquoi, encore une fois, Eric m'a ordonné de rester chez moi ce matin afin de reprendre des forces. Mais je suis tellement impliquée dans mon boulot que je ne peux cesser d'y penser, surtout depuis la visite du Gouverneur et celle imprévue d'un mafieux à la botte de la Sem'ya. J'en ai encore des frissons...

Ça fait quatre jours que cet événement s'est passé et je ne sais toujours pas quoi faire. Je sais que nous devrions quitter au plus vite cet Etat mais comment l'expliquer à Léora qui a désormais des amis, qui se sent mieux qu'avant - ou du moins, je l'espère - et qui a créé une routine agréable et stable ? Je ne peux pas troubler ses habitudes, ça pourrait avoir des conséquences catastrophiques sur son psychisme. Et je peux encore moins lui raconter tout ce que je sais et que je garde pour moi depuis très longtemps. Trop longtemps, peut-être ? Léora n'a jamais su que notre patriarche faisait partie d'une organisation criminelle. Pour elle, il s'agissait juste d'un père violent. Ou un inconnu qu'elle ne considérait pas comme un membre de sa famille.

Je soupire en passant mes mains dans mes cheveux, assise sur le canapé. Nous avons construit trop de choses pour que ce soit aussi facile de disparaître comme la première fois. Et je n'ai plus autant d'argent.

Ce maudit argent...

J'aurai dû réfléchir un peu plus avant de m'emparer de ce que mon père avait volé à la mafia et enterré dans la forêt. C'est certainement ça qui a incité Vassili à s'intéresser à la mort de nos parents. Si l'argent avait été remis à sa place, l'incendie serait resté un accident domestique à ses yeux... Il a certainement dû penser qu'un ennemi avait assassiné l'un de ses meilleurs et soi-disant plus fidèles hommes... Mais nous en avions besoin : pour payer des gens pour nous aider à changer d'identités, effacer notre ancienne existence, nous créer une nouvelle vie afin d'éviter que la mafia ne veuille nous recruter. C'est souvent ce qu'elle fait quand les enfants de l'un de leurs membres deviennent orphelins du jour au lendemain. Ils se pensent généreux en offrant la possibilité à ces enfants crédules et encore jeunes de vivre sereinement, sous leur protection alors qu'ils les transforment petit à petit en chiens loyaux et meurtriers qui finiront pas travailler pour la Sem'ya.

Je ne voulais pas devenir comme mon père, je ne voulais pas de cet avenir pour ma soeur. Si Vassili, connu pour ses lubies étranges, connu surtout pour jouer aux Abbés Pierre en recueillant des gamins détruits, avait appris que ma soeur était atteinte d'un TDI, il était sûr et certain que nous nous serions retrouvées toutes les deux en Russie dans leur prétendue famille soudée et unie.

Je ne suis et ne serai pas une mafieuse.

Mais maintenant, il doit savoir. J'écarquille les yeux face à cette pensée. Est-ce pour cette raison qu'aucun de ses « agents » ne nous a kidnappées ou attaquées ? Est-il en train de tester notre potentiel ? Je serre les dents. Qu'est-ce que Bogdan Loukianov sait réellement sur mes parents, sur Léora, sur moi... sur l'incendie ? Ils ne doivent jamais apprendre ce qu'il s'est passé cette nuit-là. Je me redresse et décide de faire du ménage pour me changer l'esprit. Ranger m'a toujours permis de prendre de bonnes décisions. Je passe l'aspirateur de partout, fais la poussière, fais des lessives, arrange la salle de musique puis décide de vider les poubelles. Je prends un grand sac et passe d'abord dans la cuisine, dans la salle de bain puis je vais dans la chambre de ma soeur qui est toujours plongée dans l'obscurité, peu importe qu'elle soit là ou non.