Très énervé, se grattant la nuque plus que jamais, Moritz est descendu de la cabine et marche à l'avant du premier véhicule afin de guider lui-même le chauffeur. Il ordonne qu'on place des branches cassées sur le sable. Il souffle, il sue. Lui, si innocemment discipliné, se trouve embarrassé par cette mission dissimulée et infâme, et il se surprend à éprouver une étrange satisfaction face à ces difficultés imprévues. Un plaisir mauvais qui le trouble. Il transpire de plus belle.
Non, décidément, il est impossible d'atteindre cette clairière ! Il est tenté de revenir à Kramanetsk avec tous les enfants. Mal en point, mais en vie !
On verra bien ! D'ailleurs, tout l'état-major est en proie à la fièvre du départ et les commandants se préparent à l'offensive. Qui se préoccupera de tous ces gamins épuisés ? "Oui, mais juifs !" se répète Moritz, qui craint d'être accusé d'avoir désobéi pour des raisons plus intimes que ces foutues conditions matérielles : un chemin impossible, une clairière inaccessible. Il est vrai qu'il n'a que mépris et dégoût pour ces miliciens dépenaillés, impatients d'en finir, au bord de la fosse qu'ils on creusée. Ils doivent attendre dans le silence, le chant des oiseaux, le bourdonnement des insectes et le frémissement des feuilles de bouleaux.
Moritz hésite encore. Il y a cet instant de fragile balance où les plateaux peuvent penchez aussi bien d'un côté que de l'autre. Cela dépend d'un rien, d'un souffle, d'un grain de poussière, d'une syllabe, d'une façon d'avaler sa salive. À cet instant de cristal, les bonnes raisons, les grands principes, les meilleures intentions, les convictions profondes sont comme anesthésiés, étouffés sous l'épaisse enveloppe du corps, recroquevillés sous les plis et replis glacés de la cervelle.
Cerné par tous ces troncs, Moritz s'est figé sur place. Il vient de se tordre le pied en trébuchant sur une racine et son genou est douloureux. Sa chair est filandreuse. Tout ce qu'il est, tout ce qu'il pensait être s'est éparpillé en une quantité affolante de petites tendances fibreuses qui se ramifient, se tressent et se combinent à toute vitesse, pour donner enfin lieu à une décision.
- Stop ! Halte ! Faites descendre tous les enfants : nous allons continuer à pied jusqu'à la clairière !
Le sort en est jeté. Dans la chair du gros Moritz, certaines fibres disciplinées triomphent. Des fibres de compassions se sont atrophiées à jamais.
En boitillant et grimaçant, Moritz longe les trois camions que les sortilèges de la forêt empêchent d'aller plus loin. Les soldats font descendre les enfants. Les hommes en uniforme se passent les plus petits, jetant les bébés dans les bras des garçons les plus valides. Enfin, ils poussent sur le chemin malaisé ce troupeau fragile et soumis. Un pas, encore un pas. Des coups, des cris, des chutes. Quand les camions sont entièrement vidés, les soldats se chargent des plus faibles.
Moritz sue à grosse gouttes. Pur lui, cette forêt est un cauchemar, bien loin des montagne de Kehlstein. Ses bottes glissent sur les plaques sablonneuses tandis qu'il accompagne plus qu'il ne conduit cette meute malade.
C'est alors que Moritz, dont les yeux se glissent entre les rayons et les ombres des bois dans l'espoir de discerner enfin la clairière, remarque que deux enfants, un garçon et une fillette, se rapprochent. Ils viennent glisser spontanément leurs mains dans les siennes, comme font les enfant perdus, épuisés quand ils s'en remette à l'adulte de rencontre, avec confiance et abandon. Le petit garçon tient la main gauche de Moritz. La petite fille tient la main droite. Ils s'accrochent, ils font ce qu'ils devaient faire avec leur propre père, lorsqu'ils marchaient avec lui sur la route, près de Kramanetsk, ou qu'ils allaient ensemble chercher du bis dans la forêt. Ils font comme tous les enfants quand leurs forces les abandonnent, quand un mauvais rêve les prend. À moins que cette paisible demande d'un peu de paternité ne soit une façon secrète de guider l'adulte perplexe vers quelque lieu mental où de l'enfantin attend depuis toujours. La nuit des temps...
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Rantbook d'un·e anarchaqueer, fierx et révolutionnaire
RandomHello ! Quelle ironie quand on se dit que je n'entre pas dans les normes de la société mais que je suis à la mode : écrire un Rantbook ! Bref, si vous êtes ici, c'est que vous n'avez vraiment rien à faire sur Watty, mais rassurez-vous, vous n'allez...