Ah, les jeunes !

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Sidonie se faisait vieille. Plus qu'elle ne le pensait jusqu'à maintenant, du moins, parce qu'elle avait l'impression d'avoir raté l'évolution des pratiques infantiles. Elle était en effet au fond de son jardin, debout dans le froid de l'hiver avec son petit-fils de 9 ans, Liam.

- Nous sommes ici aujourd'hui pour rendre hommage à Juliette la rainette, nommée ainsi en souvenir de la petite grenouille de la série de livres Les Drôles de Petites Bêtes. Je n'ai malheureusement pas réussi à trouver les adresses de ses ami·e·s Hugo l'asticot et Ursule la libellule, ni de son mari Roméo le crapaud, j'espère qu'iels ne m'en voudront pas.

Non, décidément, elle ne savait pas que la coutume était d'enterrer les grenouilles. Les enfants d'aujourd'hui étaient complètement follous !

Mais attendrissant·e·s, aussi., se dit-elle en avisant la tristesse sincère de Liam.

- Juliette a eu une belle et longue vie dans la petite mare du jardin de Mamie, j'espère qu'elle s'y est plu et qu'elle s'y est fait plein d'ami·e·s. Elle était d'une bonté sans égale, je l'ai même vu épargner un asticot et sauter dans la mare alors qu'elle aurait pu le manger tout cru.

Sidonie était là, ce fameux jour où Juliette n'avait pas mangé l'asticot. Elle n'avait pas eu le courage de dire à son petit-fils que la grenouille avait mangé le petit animal après qu'il soit retourné dans la maison, et que la seule raison pour laquelle le batracien était retourné dans l'eau était que l'arrivée bruyante de Liam lui avait fait peur. Elle aussi aurait fui devant un géant qui hurlait "Regarde, Mamie, c'est Juliette, regarde, elle est là !".

- J'espère que l'étang du Paradis des grenouilles sera aussi bien que celui du jardin de Mamie.

En plus de l'originalité des enfants, elle ne se souvenait pas non plus combien iels aimaient apprendre. La veille, Liam était venu la voir en lui demandant :

- Mamie, t'aurais pas un poêle ?

- Euh...oui, j'en ai un...

Elle n'avait pas très bien compris pourquoi l'enfant lui posait cette question : il savait très bien qu'elle avait un poêle dans son salon, il lui en parlait à chaque fois qu'il était question qu'il passe les vacances chez elle ! Et puis, ce n'était pas comme s'il était invisible !

- Ah, c'est vraiment génial, Mamie, tu me sauves la vie ! Je vais pouvoir offrir un digne enterrement à Juliette ! Tu peux me le passer, s'il te plaît ?

C'est à ce moment là qu'elle avait compris que Liam ne vivait pas dans le même monde qu'elle.

- Liam, je ne peux pas transporter le poêle dans ta chambre.

- Mais je peux le faire tout seul, c'est juste un morceau de tissu !

Sidonie avait revu son jugement et avait donc supposé que son petit-fils ne parlait pas la même langue qu'elle.

- Mon chéri, le poêle n'est pas en tissu.

- Mais bien sûr que si ! De quoi veux-tu qu'on entoure les cercueil, sinon ?

- Euh...

- Mamie, je ne te parle pas du poêle comme la cheminée, je te parle du poêle qui sert à recouvrir les cercueils pendant les enterrements !

- Oh ! Ce n'est pas un linceul, plutôt, ça, mon chéri ?

- Bien sûr que non, Mamie, le linceul, c'est le drap qui recouvre lae mort·e à l'intérieur du cercueil ! Je l'ai lu dans le dictionnaire !

Ah, c'était donc ça. Cet enfant avait bouffé un dictionnaire et la langue française se perdait même chez les gardien·ne·s de l'Histoire.

- Ah, très bien, d'accord. Eh bien si tu veux. Une chaussette fera l'affaire ?

Rantbook d'un·e anarchaqueer, fierx et révolutionnaireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant