Moment de vie

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J'aimerais vous partager ce moment de vie.

Ma 1ère glace de l'année.

Je n'avais cours que jusqu'à 10h, ce jour-là, pour cause de prof absente.
Pourtant, je suis resté·e au lycée jusqu'à 15h.
Comme toujours.

En sortant du CDI, je me suis rendu·e compte que je n'avais rien à faire chez moi.
Que je ne voulais pas rentrer tout de suite à l'appartement.

Alors j'ai fait le tour du lycée, collé quelques stickers sur les affiches de Zemmour que des gens avaient mis là.

Il y avait du soleil, et avec mon gros pull et ma veste noire, j'avais chaud.
Je n'ai pas eu l'idée de les enlever.

Puis j'ai erré.
Je ne savais pas vraiment où je voulais me rendre.
J'allais là où mes pas me portaient, dans la vieille ville.
J'observais attentivement les gouttières, à la recherche d'éventuels Z à recouvrir.
Je n'ai rien vu.

J'ai eu l'idée de m'arrêter pour enlever mon pull.
Il faisait vraiment trop chaud.
Dans ma tête, c'était déjà l'été.
Chaud, été, vieille ville.
Glace.

J'ai su où aller, après.
Mon glacier préféré.
Contrairement aux autres, il n'y avait personne.
Les gens ne savent pas ce qu'iels rataient.

Les deux vendeur·euse·s ont eu l'air heureux·se de me voir.
Peut-être pour ma thune, sûrement un peu, mais aussi par simple envie de contact humain.
L'un·e d'elleux était très stylé·e.
J'avais l'impression de lae connaître.
Si je lae vois en manif, ça ne m'étonnera pas.

Un baquet de glace m'a tout de suite attiré·e.
J'ai fait semblant de réfléchir.

Je suis reparti·e avec ma glace deux boules sorbet cacao et une montagne de chantilly.

J'ai redécouvert le plaisir de marcher dans les rues piétonnes en faisant attention aux gens et à ma glace simultanément.
La galère de ne rentrer dans personne et de ne pas faire tomber sa glace.
La panique quand la chantilly commence à pencher parce que j'avais mangé presque toute la glace en-dessous - je le fais à chaque fois, tout en me disant que c'est débile, qu'un jour ça va mal se terminer, mais je recommence, parce que c'est un des petits plaisirs de la vie.

J'ai adoré retrouver les regards envieux des enfants qui, une fois passé·e·s, supplient leur parents pour avoir une glace.
Les sourires complices en croisant d'autres gens, elleux aussi mangeant une glace - mais la mienne est meilleure.
Les regards des adultes, que je prends pour énervé à cause de la chaleur, de leurs enfants qui courent partout et de moi qui leur fait envie avec ma glace - je ne les aide en rien dans leur calvaire, et je m'en fiche complètement.
Les regards des personnes âgées, assises sur les bancs, un sourire mi-amusé mi-réprobateur sur les lèvres - aah, les jeunes et la gourmandise. Je leur souris, et iels me rendent mon sourire.
Je sais qu'iels faisaient la même chose quand iels avaient mon âge, et iels aussi s'en souviennent.

J'ai aimé patienter au passage piétons, les voitures passant devant moi, les conducteur·ice·s s'attardant un peu trop sur ce que j'ai dans les mains.
Traverser les jardins ombragés en me mettant dans le chantilly sur le nez.
Passer sur le pont bondé, observer le lac, éviter les gens qui prennent des photos, encore et toujours, ne me soucie pas de passer sur leur photo - iels en referont une autre.

Rencontrer le cornet de la glace avec mes dents et croquer dedans alors que je descends de l'autre côté du pont.
M'en mettre de partout en étant distrait·e par les gamins dans le parc.
Observer les gens, les bateaux, l'eau, les cygnes.
Ne pas se soucier du regard des gens sur mon visage. Je dois avoir de la glace de partout, mais je m'en fiche, j'ai mangé une glace, j'ai bien le droit de me lâcher.
Arriver au passage piétons qui marque la fin de la pelouse, de l'eau, de l'été, des vacances.
Jeter ma cuiller dans la poubelle, croquer la dernière bouchée de cornet.

Marcher sur l'arc-en-ciel du passage quand le feu passe au vert, souvenir tenace et coloré de la Pride de l'année dernière.
S'essuyer la bouche, tout de même, car je ne suis plus vraiment en territoire de loisir et de vacances.
Aller à l'arrêt de bus juste à côté.
Savourer le goût du chocolat qui reste dans la bouche en attendant quelques minutes le bus.

Et puis mettre mon masque et monter dans le bus, toute trace de glace et d'amusement disparue aux yeux des autres.
Ne pas pouvoir m'empêcher de me dire que j'aurais aimé marcher dans les rues et manger une glace avec quelqu'un·e.
Peut-être même en lui tenant la main.
Me dire que ça arrivera, un jour.
Rentrer à l'appart, me jeter sur mon lit.
Et écrire,
Avec le sourire.

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Écrit le Mercredi 4 Mai 2022

Publié le Jeudi 5 Mai 2022


Rantbook d'un·e anarchaqueer, fierx et révolutionnaireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant