Chapitre 16 - Morts et Désespoir

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Année 7 après L.P – (Saison de la vie)

Les mains jointes au-dessus du chevet de sa fille, Pashad priait sans savoir à qui adresser sa prière. Il avait pris cette habitude en observant ses protégés reproduire ce geste désespérés à longueur de temps, mais pouvait-il se prier lui-même ? Il était certain que prier un de ses semblables n'était absolument pas chose envisageable, et prier les gardiens célestes ne le mèneraient à rien. Ils ne pouvaient rien pour lui, si ce n'est faire danser leurs plumes multicolores devant ses yeux. Peut-être adressait-il alors sa prière à la nature, le néant, tout ce qui est et ce qui n'est pas... Car si Pashad était en cet air le dieu des dieux, il n'était pas à l'origine d'une autre création que celles qui peuplaient actuellement le continent Brazla. Et cela dit, tous n'étaient qu'une vague mutation de ce que ses ancêtres avaient déjà créé. Mais qui avait créé les dieux ? Alors qu'aucune réponse ne lui parvenait, Pashad décréta que si une force créatrice existait en cet univers, ce ne pouvait être que le Néant. Après tout, la vie était mystérieuse et imprévisible. Elle ne répondait à aucun dictat ni aucune loi. Elle évoluait par une force pure qu'elle seule gouvernait, une force sauvage, instinctive, indépendante. Cette force émergeait du néant. Du vide et de la matière. De la rencontre entre les mondes, entre la terre et le ciel, entre le ciel et l'univers. Le Néant devait être le créateur suprême et en ce jour, Pashad décida de lui dédier ses prières.

La fragile apparition qui dormait devant lui ne semblait pas plus solide qu'un songe. Sa fille flottait entre réalité et mensonge, entre imaginaire et existence, entre vie et mort. Seule sa poitrine, qui se soulevait à chaque souffle en quête de vie, prouvait sa survie. Aussi loin que sa mémoire divinement infaillible le menait, Pashad ne pouvait se rappeler d'avoir jamais vu sa fille éveillée. Et pourtant, il lui fallut bien la voir grandir à minima, elle ne fut pas plongée dans cette mort éveillée dès sa naissance. Iléa demeurait ainsi, sur le même lit, toujours positionnée à l'identique, ses cheveux d'étoiles courant infiniment du lit vers le sol inexistant. La chambre qui les entourait ressemblait plus à un apothicaire qu'à une suite divine. Un atelier d'alchimiste trônait en son centre et des fioles étaient entassées partout dans la pièce, parfois remplie de vapeurs colorées, parfois vides, usées, délaissées, représentation physique d'un nouvel espoir brisé.

Le son de la voix de Saruïa dans sa tête le sorti de sa torpeur. Pashad redressa son corps devenu trop lourd à porter et entreprit de rejoindre le Grand Hall. Il ne pouvait se résigner à ignorer l'appelle de sa sœur, bien que l'envie ne lui en manquait point. Si les Grands Conseils Divins devaient servir à quoi que ce soit, ça se saurait. Les discussions étaient les mêmes, les décisions à prendre étaient les mêmes et ces mêmes décisions n'étaient finalement jamais honorées. Ils ne valaient pas mieux que les pions qui s'agitaient sous leur couronne sur le continent de Brazla. Pashad les avait d'abord jugés durement et fermement. Ces rois, incapables d'honorer leur parole, de respecter leur principe et leurs valeurs. Ces rois qui prônaient de grandes évolutions et de grandes idées voyaient toujours le pouvoir les éblouir et toutes convictions les quittaient telles des amantes désabusées, chassées par l'or qui venait trôner sur la nouvelle tête royale. Pashad les avait méprisés pour cela, il en était conscient. Mais qu'avait-il fait de mieux ? Il avait créé un monde qu'il ne pouvait plus aider à présent. Un monde fou, trop libéré pour être raisonné. Par naïveté, ils avaient laissé le pire se produire et par un optimisme couard, ils avaient regardé leur monde sombrer dans la folie, dans une inaction satisfaite. Sar Ier avait été un des premiers Brazlaciens à se démarquer par une attache à ses valeurs plus forte que l'univers lui-même. Mais lui, Pashad, mis à part juger et mépriser, n'avait jamais rien su apporter à ce continent en dérive.

Lorsqu'il arriva face à la large table lumineuse, tous ses confrères étaient déjà assis, l'expression sévère, certains d'avoir un rôle à jouer d'une importance capitale. En pleine conversation, ils se turent poliment et, après les salutations d'usage, annoncèrent ensemble les nouvelles récoltées sur le continent.

Les Reliques du Damné - T.I TrahisonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant