CINQUANTE-HUITIÈME JOUR ❥ ❥ ❥ we had a good run and i'm setting you free.

8 0 0
                                    

Je pousse la porte et soupire de contentement en sentant l'air chaud de l'endroit m'enivrer. Je m'approche lentement de notre table et m'installe à ma place. Je ne retire pas ma veste. Je ne suis pas ici pour rester. Je suis un peu avance et j'espère qu'il sera à l'heure. Je frotte mes mains entre elle après avoir soufflé au creux de mes paumes et les glisse sous mes cuisses avant de regarder les gens autour de moi. Il n'y a pas beaucoup de monde. Une serveuse s'approche et je lui demande un simple sirop. On est pas là pour rester, mais venir dans un café, implique forcément consommer quelque chose. Et comme je suis la première arrivée, c'est à moi que revient cette tâche, je suppose.
Elle m'apporte ma commande rapidement et je la paye aussitôt. Je descends mon verre d'une traite, me trouvant un peu stupide de commander quelque chose de frais alors qu'il pleut des cordes dehors, m'enfin. Je suis affreusement anxieuse et quand le liquide coule le long de mon œsophage, je sens un long frisson me parcourir. Je pousse un soupir en jetant un dernier coup d'œil à l'heure et lève brusquement les yeux en entendant la porte de l'entrée s'ouvrir.

Mon cœur cesse littéralement de battre. Il s'approche d'un pas nonchalant, comme si il portait le poids du monde sur ses épaules. Lorsqu'il arrive à la hauteur de la table, il ne s'assoit même pas. Je garde les yeux rivés vers lui, puis nos regards se croisent pour restés encrés dans l'autre.

— Salut.
— Hey, je réponds directement.

Il n'a jamais eu si mauvaise mine. Même pas quand il était malade. Ses paupières, ainsi que tout le contour de ses yeux d'ailleurs, sont anormalement rouges. Il est incroyablement pâle, plus que d'habitude. Sa voix est plus grave qu'à la normale, brisée, rauque. Il racle cette dernière avant de glisser sa main dans sa nuque, visiblement gêné. Il pousse un léger soupir en lançant un regard circulaire à la salle pour finalement reposer son attention sur moi.

— C'est bizarre de revenir ici après tout ce temps, hein?

Je hoche faiblement la tête sans le quitter des yeux, frissonnant à cause de l'appréhension. C'est dans ce café que tout a commencé. Le pacte, notre petite guerre, ma descente aux Enfers, puis, le début de tout ces moments dingues qu'on a passé, durant lesquels il a été tendre, gentil, sensible, attentionné avec moi. Il pince ses lèvres, les yeux rivés sur le bord de la chaise qu'il serre entre ses doigts. Je déglutis en examinant longuement son visage, m'imprégnant de ce dernier. C'est probablement la dernière fois que je le vois en face de moi.

— Bon, annonce-t-il en extirpant un papier de sa poche.

Il l'étale sur la table et je reconnais directement son écriture fine, mon adresse au dos... Il s'agit du contrat. Je lève rapidement les yeux vers lui en entendant un bruit métallique. Dans le creux de sa main repose un briquet argenté. Je sens mon cœur se serrer dans ma poitrine et je vois bien que Harry fait tout son possible pour ne pas établir de contact visuel avec moi. Je ne suis pas certaine qu'il ait le droit d'allumer quoi que ce soit ici, mais après tout la table est en verre et il est Harry Styles. Il ouvre le clapet du petit objet, faisant jaillir une longue flamme dorée. Il incline sa main vers le bord de la feuille et lentement, le papier se consume. Je mords dans ma lèvre en sentant des larmes se former dans mes yeux.

Tout a commencé ici et c'est au même endroit que tout prend fin. Nous regardons le spectacle que nous offre cette combustion et lorsque le pacte n'est plus qu'un tas de cendre, je lève les yeux vers Harry qui semble tout aussi bouleversé que moi.

— Voilà, fait-il faiblement, la voix tremblante. Je te rends ta liberté, comme tu le voulais.

Il pince douloureusement ses lèvres une nouvelle fois avant de souffler doucement.

— Tu sais, Frances... je crois que tu dois comprendre pourquoi..., il prend une longue inspiration et masse ses paupières à l'aide de son pouce et de son index.

Il est sur le point de pleurer.

Je reste assise silencieusement, complètement brisée par l'état du bouclé, retenant mes propres larmes. Il met quelques secondes avant de se ressaisir. Il lève les yeux vers moi en reniflant.

— Pourquoi, reprend-il, pourquoi, je m'identifie à Hugh Grant dans Love Actually. Tu te rappelles quand on en a parlé, le jour de notre première sortie ensemble, en tant que, euh... amis... J'ai... j'ai jamais répondu, mais tu dois savoir, parce que ça te concerne. Tu vois, c'est pas... c'est pas parce qu'il est ministre, ou parce qu'il se déplace en limousine, ou parce qu'il est incroyablement intelligent ou beau... non, en fait, c'est parce que... parce qu'il...

Soupir. Il esquisse un sourire, puis l'instant d'après, son menton se met à trembler. Il lève les yeux au plafond en soufflant, puis il repose son attention sur moi, les yeux humides.

— Il tombe amoureux de sa secrétaire, Natalie, lâche-t-il d'un trait, sans me quitter des yeux. Et elle jure énormément, ajoute-t-il en se mettant à rire nerveusement.

Mon cœur se brise en mille morceaux. J'entends sa voix dans le fond de ma tête me répéter en permanence "ne jure pas" et c'est tout ce qu'il me faut pour laisser échapper quelques larmes. Je tire sur mes manche et essuie mes joues rapidement en détournant le regard. Je suis absolument incapable de le regarder en face. A la place, je bloque le cadavre de notre contrat au beau milieu de la table. C'est affreux, bordel, c'est affreux.

— J'ai toujours été arrogant avec toi et cruellement méchant et... je regrette tellement, dit-il dans un souffle avant que sa voix ne déraille et se brise. Je l'entends renifler et je fixe désespérément les morceaux brûlés de notre pacte. Je me suis pas moqué de toi, à aucun moment. Quand je te parlais de... de... moi et... et..., il cherche ses mots pendant de nombreuses secondes. Je lève les yeux vers lui. Sa tête est baissée, ses épaules tremblent. J'ai juste eu du mal à... à gérer ce que tu me faisais ressentir.

Il lève les yeux et nos regards se rencontrent. Ses pommettes sont humides et roses, ses yeux injectés de sang. Ça me fait tellement mal que mon ventre se retourne littéralement. Je déglutis difficilement pour réprimer quelques nausées. Il esquisse un nouveau sourire en se redressant et prend une longue inspiration avant de passer sa main sur son visage, essuyant maladroitement les traces qu'ont laissés ses pleurs.

— Bref, soupire-t-il.

Il fait un léger signe de la main pour me dire au revoir, tourne prestement les talons et quitte l'endroit en un coup de vent, me livrant à moi-même. Je suis clouée sur place, incapable de bouger. Mes jambes tremblent affreusement et je sais que si je tente de me lever, je risque de m'écrouler. Je rêve de lui courir après cette déclaration, mais j'en suis tout bonnement incapable, même si j'assemblais toutes mes forces, ce ne serait jamais suffisant. Je prends mon visage entre mes mains et me mets à sangloter péniblement. J'ai horriblement mal au cœur, comme si je pouvais vomir à tout instant. J'ai l'impression d'avoir couru un marathon. Je suis épuisée, je suis complètement brisée. Comment est-ce que je peux me sentir mal pour quelque chose qui n'a véritablement jamais commencé?

Je suis libre, je devrais me réjouir... Pourquoi est-ce que c'est si douloureux, pourquoi est-ce que j'ai l'impression d'être prisonnière, captive, plus encore qu'auparavant? Qu'est-ce que c'est ce que cette affreuse sensation? Pourquoi est-ce que ça fait ça?

Mes désirs sont désordreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant