CINQUANTE-SEPTIÈME JOUR ❥ ❥ ❥

5 0 0
                                    

Je repose ma tête contre la fenêtre de la voiture en regardant le paysage d'un air absent, le regard vitreux, comme totalement vide d'émotions. Je suis incroyablement fatiguée. Je comprends pas pourquoi j'ai réagi aussi vivement, comment j'ai pu m'afficher à ce point au lycée, pourquoi mon corps s'est emballé si vite, si violemment.
Je suis quand même rassurée que l'infirmière m'ait laissé choisir entre ma mère et les urgences.

C'est pas la première fois que je fais une crise de spasmophilie. Je sens les fourmis cesser de grouiller au bout de mes doigts, dans mes dents. Mon corps se détend peu à peu et je suis à bout de force. Il y a toujours la marque de mes ongles dans la paumes de mes mains, pour avoir serré les poings trop fort. J'ai affreusement mal à la gorge aussi, pour avoir suffoqué dans le but d'aspirer un tant soit peu d'air.

Ma vie prend une tournure mélodramatique à en gerber. J'aurais aimé être une de ces filles qui mène une vie banale, sans rebondissements et qui regarde ses amis tomber amoureux, souffrir, puis se reconstruire dans les bras de quelqu'un d'autre. Être la personne à qui "ça n'arrive jamais". J'aurais aimé ne jamais être touchée par tous ces sentiments, être malheureuse et envieuse de tout ces couples, mais paisible et hors d'atteinte. On veut toujours ce qu'on n'a pas. Si j'avais été cette fille, peut-être que j'aurais voulu de ma vie actuelle? Pas moyen. Personne n'a envie d'être dans mes pompes.

— Je suis désolée de t'avoir forcé à quitter le travail pour ça, Maman.
— Je suis ta maman avant d'être une employée, répond-elle doucement. Tu veux parler de ce qui s'est passé?

J'ai passé une partie de la nuit à réfléchir à ce que j'aurais dû faire ou ne pas faire. A me demander si j'ai bien fait de le gifler, si je n'aurais pas dû le laisser parler. C'est toujours la même rengaine: se repasser l'instant en boucle et se demander comment aurait été la fin alternative de cette histoire si j'avais agi d'une manière différente. J'ai probablement tout gâché. Ou je me suis probablement protégée d'une seconde chute vertigineuse, affreusement douloureuse, de l'atroce vérité. Si Harry voyait toujours cette fille... Violet?

Je ferme les yeux.

Je soupire tristement et rapidement mon menton se met à trembler. J'ai du dormir deux heures, cette nuit, tout au plus. Puis je me suis traînée sous la douche, j'ai rien avalé parce que j'aurais forcément fini par tout rendre. Je suis allée au lycée la mort dans l'âme et j'ai laissé Andreas parler le long du trajet, faisant semblant de m'intéresser à ce qu'il disait, faisant semblant d'aller bien, alors que je me serais bien jeté sous les roues d'une voiture.

Et c'est le cœur lourd que j'ai assisté à chacun de mes cours, sans être très attentive, puis quand nous avons entamé ce chapitre sur le désir en philosophie, mes nerfs ont lâchés.

« Ce n'est pas par la satisfaction du désir que s'obtient la liberté, mais par la destruction du désir. »



J'ai fondu en larmes. Tellement fort, tellement abruptement que tout le monde s'est tourné pour me regarder. Charlie a posé sa main sur mon bras pour savoir ce qui n'allait pas et mes larmes sont devenues brûlantes, douloureuses, accablantes, insoutenables... j'ai commencé à manquer d'air.

Perte de contrôle.

Je me souviens clairement que Andreas a tiré ma chaise en arrière alors que j'étais toujours assise dessus et qu'il m'a soulevé de cette dernière pour me porter et c'est tout. J'ai fermé les yeux. J'ai étouffé mes cris dans son épaule. Mon coeur faisait un vacarme dans mes oreilles. C'était comme mourir. Et l'instant d'après, j'étais allongée dans un lit à l'infirmerie. Calmée. Faible. Seule. Marquées par les plaies invisibles de ma précédente crise d'angoisse.

Mes problèmes n'ont l'air de rien et avec le recul, c'est probablement idiot d'avoir agi de la sorte, d'avoir eu une réaction si excessive à l'entente d'une simple citation de Épictète, mais... j'en sais rien. C'est juste arrivé. Je suppose que j'ai trop encaissé, trop avalé, trop enduré ces derniers temps... Et que j'ai juste eu besoin d'extérioriser. J'aurais aimé que ça se passe autrement. Je déteste le contre-coup du choc. Quand la pression redescend. C'est la pire sensation du monde.

— J'ai juste perdu le contrôle.

Comment j'ai pu être aussi stupide?

L'amour est comme une leçon. Une leçon qu'on tente tous d'apprendre et qui ne rentre jamais. A chaque tournant d'une histoire de cœur, on finit brisé. Au même point. Celui qu'on ne parvient pas à maîtriser, à mémoriser. Pourquoi? Pourquoi ça marche comme ça?

Je soupire et sèche mes larmes d'un revers de manche avant de renifler péniblement.

Nous rentrons finalement à la maison et sans attendre, je monte dans la salle de bain. Je me déshabille rapidement et commence à me faire couler un bain chaud. Quelques minutes plus tard, ma mère rentre avec deux tasses à la main et s'installe sur un petit tabouret qui traîne toujours là. Nous sirotons nos boissons et après une poignée de secondes passées dans le silence, je lève les yeux vers elle.

— Il faut que je te montre quelque chose. Est-ce que tu peux aller chercher mon ordinateur dans ma chambre?

Elle se lève après avoir posé sa tasse sur le bord de la baignoire et quitte la salle d'eau pour revenir un instant plus tard, mon portable dans les mains. Elle s'installe sur le tabouret en allumant l'appareil. Après ce qui est arrivé aujourd'hui, j'ai besoin de parler à quelqu'un. J'ai bien compris que mentir en permanence et tout garder pour moi, c'est pas la bonne solution. Ça peut faire d'affreux dégâts.

— Va sur Youtube et tape Gotta Be You, d'accord?

Elle hoche la tête et fait ce que je lui dis.

— Je clique sur la première vidéo? me demande-t-elle en tournant l'écran vers moi.
— Oui, c'est celle là.
— D'accord.

La chanson démarre, les premières notes de la chanson résonnent dans la pièce. J'observe son visage. Dès le début de la vidéo, son visage s'illumine et je vois qu'elle se rapproche de l'écran, les sourcils froncés. Can we fall, one more time?

— Hé mais... je trouve qu'il ressemble énormément à...
— Harry, nous disons d'une même voix.

Elle lève les yeux vers moi, sans comprendre. Je hoche la tête.

— C'est lui. Maman, j'ai... une chose à t'avouer. P-Promets moi de ne pas te mettre en colère.


***

— J'ai tout raconté à ma mère, pour Harry. Sa célébrité. La voiture, le pacte, les mensonges, mon comportement...

— Et comment elle l'a pris?
— Étrangement .. Bien? Je sais pas trop, bizarrement, peut-être. Je crois qu'elle a été rassurée que je ne sois pas devenue une vandale qui veut laisser tomber les cours juste avant ses exams, puis choquée parce que je suis tombée hyper bas en devenant l'esclave de quelqu'un et un peu émerveillée par ma relation avec Harry... J'en sais rien... Elle a pas dit grand chose.
— Je pense qu'il lui faudra un bon moment avant qu'elle encaisse bien la chose, conclue mon meilleur ami. En tout cas, tu nous auras bien fait flipper, aujourd'hui.
— Je suis désolée... C'est... c'est juste parti tout seul.
— Charlie t'appellera plus tard, je suppose. Elle devait aller faire quatre courses avec sa mère.
— Je suis contente que tu sois là.
— Je me serais senti mal de passer devant chez toi sans m'arrêter pour savoir comment tu allais.

Il place correctement mon coussin dans l'angle que fait mon lit avec le mur avant de me faire signe de venir contre lui. Je m'approche, colle mon dos contre son torse et le laisse m'entourer de ses bras. Je soupire de contentement et ferme les yeux en sentant ses lèvres se déposer sur mon crane.

— Alors c'est réellement terminé?
— Ça m'en a tout l'air..., je réponds dans un soupir avant de glisser mes mains dans les siennes pour entrelacer nos doigts.
— Pffff, j'arrive pas à y croire. Votre histoire est tellement hors du commun, tellement... tellement dingue! Elle peut pas se terminer bêtement comme ça, comme... aussi brusquement, sans explications, sans rien. C'est pas comme ça que ça doit fonctionner...

Je ne sais quoi répondre. Je repose ma tête contre son épaule et me tourne du mieux que je peux pour le regarder.

— Oh mon Dieu... Je t'avais promis que tu verrais Zayn et j'ai même pas tenu ce que j'avais dis. Je suis terriblement désolée Andy.
— Arrête Frances, t'es sérieuse à me dire un truc pareil? s'esclaffe-t-il. On finira par se rencontrer, lui et moi. Il n'y a aucun doute là dessus. C'est notre destin.
— C'est tout ce que je te souhaite..., je réponds en pouffant de rire.

Il embrasse ma tempe et nous sommes soudainement dérangés par la sonnerie de mon téléphone. Je saisis ce dernier et souris en voyant le numéro de Charlie affiché à l'écran.

— Tiens, la voilà qui vient aux nouvelles, dit-il fièrement.

Mes désirs sont désordreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant