CINQUANTE-SIXIÈME JOUR ❥ ❥ ❥

6 1 0
                                    

— Casse un œuf et ajoute-le à la mixture pendant que je mélange, s'il te plait, me demande ma grand-mère en fouettant les ingrédients ensemble au fond de son saladier.
Je m'exécute rapidement et la regarde faire pendant quelques secondes pour finalement me remettre à remuer le chocolat dans la casserole sur le feu. J'adore cuisiner le mercredi après-midi avec ma grand-mère quand il fait pas beau dehors. C'est probablement le meilleur moment de la semaine. Je touche la cuillère en bois recouverte de chocolat du bout de mon doigt avant de le porter à mes lèvres.

— Tu as utilisé tout le lait?
— Oui, je crois...
— Zut, siffle-t-elle entre ses dents avant de regarder par la fenêtre. On va en manquer.
— Je vais faire un saut à l'épicerie.
— Par ce temps?
— Je prends mon vélo, j'en ai pas pour longtemps.
— Couvre toi, Frances! me conseille-t-elle.

Je monte rapidement dans ma chambre après m'être débarrassée de mon tablier et retire mon uniforme de cours pour enfiler une paire de jeans, mon gros hoodie à capuche et ma paire de bottes en caoutchouc. Je me rappelle du jour où je les ai achetées... C'était au cas où j'irais au festival de Reading cette année... Mais j'imagine qu'il ne reste plus de places à l'heure qu'il est et malheureusement, je n'ai jamais eu l'occasion d'en parler à ma mère avec les événements qui se sont passés récemment. J'attrape mon sac à la volée puis je descends rapidement les escaliers pour regagner la cuisine. J'emprunte quelques pièces à ma grand mère, hisse ma capuche sur ma tête et m'empare de mon vélo après être sortie de chez moi, pour aller jusqu'à l'épicerie.

A chaque fois que je vais là-bas, je ne peux m'empêcher de penser à cette fois où Harry était dans la rue d'en face. Pff... comme si j'avais besoin de seulement ça pour penser à lui. Il est dans ma tête en permanence. Un rien me ramène à lui, c'est monstrueux.

J'achète deux bouteilles de lait et une fois ça fait, je retourne à mon vélo dehors, glisse mes achats dans mon sac et m'empresse de quitter la rue pour rentrer au chaud chez moi, là où ça sent probablement le chocolat et la crème à l'heure qu'il est. Lorsque j'arrive à proximité de ma maison, je reconnais la voiture de Harry garée à quelques mètres de là. Fixer cette dernière pour m'assurer qu'il s'agit bien de la sienne fait que je manque de me massacrer contre un poteau que j'évite à la dernière seconde.

Le bouclé se tient devant la barrière qui sépare le trottoir de mon petit jardin, les mains dans les poches, sa capuche sur la tête, cette dernière rivée sur ses chaussures. Je m'arrête à hauteur de ce dernier et descends de mon vélo, le notifiant ainsi de ma présence.

— Frances!
— Rentre chez toi, Styles. Laisse moi respirer.
— Pourquoi t'ignores mes appels?
— Réfléchis.

Je lève la targette qui retient mon portail fermé et rentre dans mon jardin en marchant près de mon vélo, évitant tout contact visuel avec lui. Harry me suit de près.

— Frances.
— J'ai pas envie de te parler, bordel. Tu peux pas me lâcher la grappe pendant deux secondes?
— Parle moi au...
— ...trement, Frances, on est encore sous contrat, je termine à sa place en rangeant mon vélo dans mon garage.

Je me tourne pour lui faire face et plante mon regard dans le sien, furibonde. Je dois avoir l'air tellement en colère que Harry fait un étrange mouvement de recul. Le même qu'il a fait la fois où je lui ai hurlé dessus quand il voulait mon portable pour comparer les heures... Me rappeler de ça ne fait qu'amplifier ma haine envers lui.

— Ouais, parce qu'après tout, c'est le seul putain de truc de concret qu'il y a entre nous, hein? Un putain de contrat. Et je suis rien de plus qu'une putain d'esclave à tes putains d'yeux. Une personne que tu manipules à ta guise, que tu prends et que tu jettes quand ça t'arrange.
— Fra...
— Ta gueule, bordel! je crie presque en le poussant en arrière. C'est pas comme ça qu'on traite les gens, Harry, t'entends?

Ma voix tremble sur mes derniers mots et mes yeux s'embuent de larmes sans que je puisse y faire quoi que ce soit.

— T'as pas le droit de me faire croire que je suis plus que ça, si c'est pas le cas. T'as pas le droit de m'embrasser, puis me baiser...
— Te baiser, m'interrompt-il, en appuyant sur ses mots.
— Me baiser, je reprends en lui lançant un regard dur, empli de haine, puis ne jamais me rappeler ensuite...

Je passe ma main sur mon front en mordant nerveusement dans ma lèvre, le matin qui a suivit nos ébats me revenant par bribes. Je sens mon cœur se serrer dans ma poitrine et j'ai besoin d'une pause pour ne pas me mettre à pleurer lorsque je revis la mise en place de ce dîner romantique dans ma tête. Dîner romantique qui n'était même pas pour moi, même pas pour nous.

— Et me demander de faire quelque chose pour toi comme si rien n'était arrivé, je continue en levant les yeux vers lui.
— J'ai...
— Parce que tout ça, c'est arrivé putain de merde, je m'exclame, le coupant une fois encore.

Je le pousse hors du garage pour le refermer derrière moi en ravalant douloureusement mes larmes et nous nous retrouvons sous la pluie battante de nouveau. Et la situation ne pouvait pas être plus clichée qu'à cette putain de seconde. Je suis complètement hors de moi, tremblante de rage, de froid, au bord des larmes. J'ai tellement la haine contre lui que le simple fait de l'avoir en face de moi me donne envie de lui faire mal physiquement.

— Frances, je suis désolé, je t'assure que j'ai une explication à tout ça, dit-il le ton presque suppliant.
— Oh oui, bien sûr que tu peux t'expliquer... le souci c'est que j'ai aucune envie de t'entendre, Harry. J'imagine que tu te souviens plus de ce que tu as pu dire le soir ou tu étais bourré, que tu te rappelles pas le passage dans la douche, durant lequel tu m'as dis que tu savais que je te détestais. Je t'ai contredis à ce moment là, mais en fait t'avais raison. Si tu savais à quel point je te déteste à cette seconde.
— Ecoute moi, fait-il en haussant le ton, toujours cette pointe de désespoir dans la voix.

Je secoue la tête en posant mes mains sur son torse lorsqu'il se met à approcher. Je le fais reculer au beau milieu de mon petit jardin et il se laisse faire docilement en prenant mes mains au creux des siennes. Je n'ose même pas le regarder dans les yeux. Je m'arrache de sa prise avant de le pousser brusquement une dernière fois. Je suis affreusement faible et à la fois je déborde de colère.

— Rentre chez toi.

Je tourne les talons et m'approche de ma porte en tirant sur les manches de ma veste. Harry ne se démonte pas et m'emboîte le pas.

— Frances. Je suis au bord des larmes, l'entendre me brise d'avantage. Pourquoi est-ce qu'il se sent forcé de me retenir quand c'est absolument pas ce que je veux? Frances, putain! s'écrie-t-il en s'emparant de mon poignet pour me faire faire volte face.
— Lâche moi bordel, me touche pas! j'explose en me retournant avant d'élancer ma main dans le vide pour lui coller une baffe.

Le temps s'arrête.

Je l'ai giflé tellement fort que sur le moment, j'ai presque envie de le prendre dans mes bras pour m'excuser, de peur de lui avoir réellement fait mal. Mais en fin de compte, j'espère que sa joue est aussi douloureuse pour lui que ce que sa présence ici ne l'est pour moi. Je reste sous le choc, probablement autant secouée que lui par l'intensité de mon geste. Il lève les yeux vers moi. Lorsque sa main lâche mon poignet, j'ai l'impression d'avoir été suspendue au-dessus d'une falaise durant tout ce temps, seulement retenue par Harry, et à présent je tombe tellement fort que j'en ai un vertige.

Je fonds brusquement en larmes et recule d'un pas en posant mes mains froides contre mes joues humides, toujours abasourdie par mon coup. Je me sens coupable, l'expression sur son visage me fend le cœur, bordel, pourquoi est-ce que c'est si difficile?

— Je veux mettre un terme au contrat. Je veux en terminer avec tout ça. Je te paierai si il le faut. Je peux plus supporter ça, je veux que ça s'arrête, on arrête de jouer, c'est terminé.

Il reste sonné. A cause de la gifle, à cause de mon état, de ma déclaration, j'en sais trop rien, probablement les trois en même temps et il reste bêtement là à me fixer d'un air d'incompréhension totale. Je recule une nouvelle fois avant de percuter la porte de mon entrée et m'engouffrer chez moi sans un mot de plus, ni de sa part, ni de la mienne.

Mes désirs sont désordreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant