La sultane du désert

Chantage

Cloîtré au bureau de ses quartiers officiels depuis qu'il avait fui la sagesse de Djalal, Hicham finit par abandonner et éloigner de lui les dossiers qu'il étudiait. Soupirant, il s'accouda sur les bouts de papiers dont dépendait le bien-être et l'avenir de son peuple, puis posa sa tête sur ses deux mains formant une boule rigide.

Rabattant ses lourdes paupières sur ses iris épuisés, le soucieux sultan se laissa, sans la moindre lutte, emporter par l'obscurité de la morosité. Ses facultés de discernement libérées brutalement de la domination de la haine et du chagrin, il fit enfin face à l'étendue de son aveuglement.

Peu importait ce qu'elle était, et ce qu'elle avait fait, il avait enlevé une femme. Il l'avait enfermée, enchaînée et humiliée. Il fut même à deux doigts de la frapper. Sa main s'était levée pour gifler un être faible et fragile qui avait eu le tort de lui dire tout haut ce que, lui, pensait au fond de lui.

Il était indigne de régner, et il ne méritait pas de siéger sur un trône. Sa soumission à ses pulsions vengeresses en était la preuve.

Tout le monde avait eu raison. Oumi, son premier ministre, ses conseillers les plus fidèles...Toutes ces personnes sages, clairvoyants et sensés l'avaient prévenu. Il agissait comme un frère meurtri, et non comme le régent d'une nation. Or, il était désormais, et avant tout, le souverain d'Azima, et non le simple numéro sur la liste de succession qu'il avait toujours été, ou le frère d'un homme décédé tragiquement.

— Votre altesse, ce n'est pas pour rien que notre tradition voudrait qu'un hériter du trône accède au pouvoir avant l'enterrement du souverain décédé. Un roi n'est pas un homme comme les autres, sa première et seule priorité, c'est le peuple. En toutes circonstances, il doit être fort, brave et calme. Il est censé être au-dessus des sentiments les plus bouleversants. Aujourd'hui, vous êtes sultan, vous n'avez plus le droit d'agir telles les personnes lambda que nous sommes. Agissez, donc, en sultan face au drame qui nous a tous frappé, et surtout pas en un animal blessé. Lui avait conseillé Nasseh Wadahe, le chef de gouvernement de son père gardé à son poste.

Hicham avait, malheureusement, écouté ce que lui avait dicté son âme revancharde. Ignorant, à présent, s'il était trop tard ou s'il pouvait rattrapper son erreur, il reconnut la gravité de son égarement, et appréhendait désormais les conséquences de son manque de jugement et de lucidité.

Il était allé beaucoup trop loin.

La criminelle qui a assassiné son frère était une citoyenne Britannique. Elle était originaire du premier pays occidental qui montrait de la sympathie envers la noble cause du peuple Azimite. Ce soutien plus que capitale était désormais menacé à cause d'une inqualifiable aberration.

Sans cette inestimable alliance, l'indépendance et la liberté des siens seront compromises.

— Pourquoi, mon Dieu ? Pourquoi faire de moi un sultan ? Pourquoi moi ? S'interrogea Hicham sans oser remettre en cause la volonté divine.

Le ciel répondit au souverain tourmenté en envoyant son esprit dans un passé pas si lointain.

— Ce n'est pas possible, Zayd ! Tu ne peux tout de même pas prétendre que les propos de notre père ne te révoltent pas ! Il a clairement sous-entendu, et en ta présence, qu'il aurait préféré que je sois l'aîné de ses fils, et que s'il le pouvait, il m'aurait cédé le trône au lieu de te laisser régner après sa mort ! En l'entendant dire cela, mon sang a bouillonné dans mes veines ! Alors que j'attendais de toi la même réaction, tu es resté calme et souriant, et tu continues encore d'afficher fièrement ton impassibilité et ton détachement bien que père soit sorti !

— M'as-tu connu hypocrite, petit frère ? En la présence de notre père et en son absence, je n'ai jamais exprimé autre chose que mon opinion et mon point de vue.