CHAPITRE 15 : Peurs

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Le repas qui suit est certainement l'un des plus étranges de ma vie. Ce que je mange est aussi délicieux que l'ambiance est froide. Alec est blanc comme un linge et Adèle scrute nos moindres interactions, c'est à dire pas grand chose tant il est concentré sur le contenu de son assiette.

– Alors Nathan, que faites vous dans la vie ?

– Je suis étudiant en première année à l'Université Esrevagemo, en Sciences de l'Éducation.

– La même université qu'Alec ? Je vois... J'imagine que vous vous y êtes rencontrés ?

J'avale ce que j'ai dans la bouche et tente un regard vers Alec qui ne réagit pas.

– Hum.. On peut dire ça... Merci pour le repas, c'est vraiment très bon !

– Je vous en prie ! Vous vous connaissez depuis longtemps ?

– Quelques jours ?

Je tente une nouvelle œillade vers l'alpha, qui m'ignore toujours royalement. Adèle reprends la parole, mais ce n'est plus à moi qu'elle s'adresse :

– Est-ce une nouvelle habitude de sauter sur un oméga que tu connais à peine ?

Cette fois, Alec se lève d'un coup, reposant brutalement ses mains sur la table :

– Tu sais que je ferais jamais ça !

– À bon ? Et puis-je savoir pourquoi tu as utilisé un inhibiteur si tardivement pendant ton rut ? Je connais bien les différents effets secondaires, et il est évident que tu ne t'en est pas servi dès les premiers signes ! Quant à Nathan, il ne dit rien mais la peur se lit dans son regard ! Qu'as-tu fait ?

Alec se tourne précipitamment vers moi. Je crois discerner un mélange de panique et de colère dans ses yeux. Je ne sais pas quoi faire ni quoi dire. Je n'ai même pas eu le temps de comprendre comment on en est arrivé là si rapidement ! Je... Je...

– Regarde, tu le terrorises !

Je me lève et repousse Adèle qui venait à mon encontre pour me prendre dans ses bras. Je ne lâche pas Alec des yeux. Je sens la larme qui coule sur ma joue, mais je m'en fiche. Je refusais de l'admettre jusqu'à maintenant mais il a fallu qu'une inconnue le pointe, ici, maintenant, alors que je n'ai nulle part où m'enfuir ni où me cacher.

Oui, j'ai peur. J'ai peur d'Alec et de ce qu'il aurait pu me faire ! Peur qu'il soit un jour incapable de se raisonner. J'ai peur qu'il me fasse du mal, qu'il fasse de moi un jouet pour assouvir ses pulsions.

J'ai peur de ce qui nous lie. J'ai peur de cette dépendance que je ressens déjà à son égard, de cette confiance aveugle que je suis prêt à lui donner sans qu'il n'ait à la demander. Je résiste, je tente de résister, mais mon être me signifie que c'est peine perdue, je suis tout entier prisonnier de ce lien, et j'ai envie de crier, j'ai envie de m'en libérer, j'ai envie de l'aimer, et qu'il m'aime pour ce que je suis et non à cause de ce qui nous arrive... J'ai peur de ce changement qui a commencé à s'opérer. J'ai peur de perdre celui que je suis, de n'être que... l'ombre de nos besoins primitifs, moins qu'un homme en somme...

Je voudrais tellement ouvrir les yeux et réaliser que tout cela n'est qu'un mauvais rêve.

Mais à la place, je suis là, fixant cet autre être humain qui semble dans le même état que moi... Le même ? Pourquoi panique-t-il ? Contre qui est-il en colère ? Sont-ce bien ses émotions que je vois ? Pourquoi ne pleure-t-il pas alors qu'il en a tant envie, tant besoin ? Je ne peux supporter sa peine en plus de la mienne, et je crie, et je pleure, et je frappe son torse alors qu'il me prend dans ses bras.

Petit à petit, il resserre son étreinte dans mon dos, et je ne peux que pleurer. Ce n'est pas oppressant mais... réconfortant ? Il me murmure qu'il est désolé et ses pleurs étouffés se joignent aux miens.

Progressivement, nos larmes se tarissent et nos souffles se coordonnent. Je me sens si bien, vidé de tous ces sentiments qui m'oppressaient. Je me sens en sécurité et surtout, je me sens compris. Je ne suis pas seul...

– Alors comme ça, vous êtes liés ?

Nous nous retournons comme un seul homme vers Adèle, qui nous regarde avec un sourire radieux. Elle croise les bras et ajoute :

– Voilà qui est très intéressant.

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