CHAPITRE 92 : Respire

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Je ne sais pas pourquoi, mais je suis content de revoir les murs de l'Université. Et surpris aussi. Je ne pensais pas que ce lieu me manquerait tant. Je n'avais jamais ressenti ça pour mes autres établissements scolaires et je me demande ce qui a changé. La réponse me semble pourtant évidente : tout.

Je m'installe dans l'amphi presque vide. Je m'étais pourtant promis de ne plus venir aussi tôt, mais j'ai finalement été plus rapide à arriver qu'à l'accoutumée.

Trente minutes, c'est le temps qu'il me reste à tuer. Alors j'allume mon ordinateur. Lui non plus, je n'y ai pas touché pendant mon escapade et, même si j'ai pris le temps de le charger complètement, je le trouve incroyablement lent au démarrage. Je soupire, consterné par les secondes qui défilent alors que l'écran reste figé. Dans son reflet, je remarque un mouvement derrière moi. Je me retourne.

– Salut Nathan. J'espérais que tu viendrais plus tôt aujourd'hui. Est-ce qu'on peut parler un peu, s'il te plaît ?

Je ferme le capot de mon ordinateur et le remets dans mon sac. Mon cœur semble vouloir s'échapper de ma poitrine directement par ma bouche et je prends une inspiration discrète avant de me lever, un semblant de sourire aux lèvres.

– On va prendre un café ?

Le visage blême d'Alix semble reprendre des couleurs au fur et à mesure que nous nous approchons de la cafétéria. J'insère une pièce dans le distributeur et regarde le nectar noir couler dans un gobelet en papier. Je grimace par avance de l'amertume que je sais qu'il va laisser sur ma langue, mais il me faut au moins ça pour tenir. Alix se sert également et nous nous installons à un banc. Je regarde quelques secondes le hall encore vide, à la recherche d'une forme de sérénité.

– Pierre et toi, hein ?

– Oui.

Le silence s'installe, présent entre nous comme une troisième personne. Et j'ai l'impression que beaucoup de choses passent par lui. Néanmoins, je suis trop curieux :

– Depuis longtemps ?

– J'ai été attiré par Pierre dès que mes yeux se sont posés sur lui et je pense que j'ai commencé à développer des sentiments dès les premiers mots échangés. Mais ce jour-là, j'ai fait une erreur. Une toute petite, minuscule erreur, qui a eu des conséquences inimaginables et qui en a aujourd'hui encore. Ce que Pierre t'a fait... Tout est de ma faute.

– C'est toi qui lui a demandé de m'approcher parce que n'importe qui d'autre lui irait, même le mec qui pue ?

– Non ! Jamais j'aurai fait ça !

Je soupire. Ça m'a fait mal de prononcer ces mots à voix haute mais la réaction sincère d'Alix me rassure.

– Je sais bien, alors arrête de...

– Mais c'est tout comme ! Nathan, je lui ai fait la pire chose qui soit. À cause de moi, il a vu son monde de certitudes s'effondrer comme un château de cartes. Son identité, tout ce sur quoi il s'était construit, envolé ! Et c'est ma faute ! Je lui ai volé ça ! Alors il a résisté, oui, il a résisté comme il a pu et, dans ses derniers retranchements, il n'a trouvé que ça pour essayer de se défaire de moi... Nathan, je ne l'excuse pas, ni rien. Ce qu'il a fait est inacceptable. Mais il ne l'a pas fait par plaisir.

Alix prend sa tête entre ses mains et son dos se courbe dans un mouvement douloureux. Les spasmes qui l'agitent me déchirent le cœur et je pose ma main sur son épaule, comme pour lui donner des forces. D'un coup, sa respiration se fait plus saccadée et bruyante. Je m'alarme et m'agenouille pour l'obliger à découvrir son visage et à respirer. Ses larmes ruissellent sur ses joues et j'ai l'impression d'être invisible à ses yeux. Je me revois à l'internat et je décide de faire comme on m'a appris. Je prends ses mains, que je serre entre les miennes, et je m'installe dans son champ de vision.

– Alix, respire doucement. Regarde, fais comme moi. Doucement. Tout va bien. Prends ton temps. Inspire et expire. Essaye avec le nez. Voilà... C'est bien.

Peu à peu, je vois son regard s'accrocher au mien et sa respiration imiter la mienne jusqu'à ce que nous ayons le même rythme. Je lui souris et lui demande tout bas si ça va. Son « oui » de la tête me rassure et je lui laisse quelques secondes avant de me lever pour lui chercher un verre d'eau. Quand je me réinstalle à ses côtés, une poignée de minutes plus tard, le tumulte semble avoir pris possession du lieu si tranquille jusqu'alors. Je regarde ma montre et hésite.

– Le cours va commencer dans dix minutes. Qu'est-ce qu'on fait ?

Alix boit son verre d'une traite et m'adresse un léger sourire avant de me répondre :

– On va y aller. Tout le monde t'attend avec impatience, je ne voudrais pas les priver. Merci de m'avoir écouté. Et de m'avoir aidé, aussi.

Je lui emboîte le pas avec appréhension. J'ai une désagréable sensation d'inachevé et, à quelques pas de l'amphi, je me stoppe net, les poings serrés.

– Alix ! Je ne suis pas sûr d'avoir tout compris et je vois à quel point c'est dur pour toi mais... Un jour... Est-ce que tu voudras bien me raconter ton histoire, un jour ?

Les étudiants autour de nous se font de plus en plus nombreux et le bruit m'empêche d'entendre le mot qui sort de sa bouche. Je le comprends néanmoins de par tout ce que dégage son corps et son expression débordante de reconnaissance : « Merci ». 

Scent of LoveOù les histoires vivent. Découvrez maintenant