Je suis fatigué. J'ai eu une nuit particulièrement peu reposante, me réveillant toutes les deux heures pour regarder l'heure. Les mouvements réguliers du métro me donnent envie de fermer les yeux, mais je crains de rater mon arrêt si je cède à la tentation. Pour me distraire, je sors mon téléphone et lance un jeu au hasard. Je le range bien rapidement, n'arrivant pas à me concentrer. Je décide finalement de regarder distraitement par la fenêtre. Les rues passent à toute vitesse devant mes yeux et je ne peux fixer mon regard sur rien en particulier.
Quand la rame rejoint un tunnel, l'obscurité me donne l'occasion de regarder mon reflet. Aujourd'hui, j'ai décidé d'attacher mes cheveux châtain clair que je laisse pousser depuis la Terminale. Les mèches de devant sont encore trop courtes et retombent légèrement devant mon visage. Je trouve que ça me vieillit un peu, ce qui n'est pas pour me déplaire, ma barbe refusant obstinément de faire son apparition. Je remarque mes cernes et me dis, pour me rassurer, qu'elles font ressortir mes yeux verts. Mais ils me piquent et j'ai très envie de les fermer. Je me tape les deux joues en même temps pour me réveiller puis tourne la tête vers les voyants lumineux qui indiquent les stations restantes. Je croise quelques regards et rougis. Plus qu'un arrêt.
Je rentre dans l'amphi et regarde autour de moi. Il y a une centaine d'étudiants, déjà installés, discutant ou riant ensemble. Je ne vois Pierre nulle part et, déçu, je décide de m'installer au bord de la rangée centrale. Ainsi, peut-être pourra-t-il m'apercevoir rapidement quand il arrivera ? Je sors mon ordinateur de mon sac à dos et jette de temps à autre quelques œillades sur les portes battantes derrière moi.
Je finis par sentir mon téléphone vibrer dans ma poche. C'est un message de Pierre qui me dit qu'il ne s'est pas réveillé et qu'il m'attendra devant la cafétéria ce midi. Je soupire de soulagement, lui répond que je l'y retrouve et me concentre pour suivre le cours qui va bientôt commencer.
J'ai l'impression que ce furent les trois heures les plus longues de ma vie. Entre le stress de déjeuner avec Pierre et l'appréhension de mon rendez-vous de ce soir, j'ai l'impression que les mots ont glissé sur moi sans que je ne puisse en saisir le sens. J'ai pourtant pris des notes, quatre pages, mais je ne serais pas capable d'en dire quoi que ce soit actuellement. J'espère que j'ai pas écris n'importe quoi...
Je range mes affaires et me prépare, le cœur battant, à rejoindre mon peut-être futur premier ami ici.
Je souris en le voyant. Il est installé à une table, concentré sur son portable. Peut-être aurais-je dû lui envoyer un message pour lui dire que j'arrivais ? Je m'approche de lui, faisant des efforts pour donner l'impression d'être parfaitement à l'aise.
– Salut ?
Il me sourit et se lève pour me faire une accolade. Je me fige, très surpris de ce geste amical inhabituel, mais lui souris aussi, pour cacher ma gêne et pour ne pas paraître antipathique. J'espère que je ne fais pas une tête bizarre.
– Vas-y, installe toi ! Alors, pas trop chiant ce cours ?
– Ça va, je te le filerai si tu veux, laisse moi juste le temps de faire la mise en page de mes notes avant.
– T'inquiètes, j'ai déjà ceux de Prune, elle me les a envoyés dès que le cours s'est terminé ! On va chercher un truc à manger ? J'ai pas trop le temps d'aller à la cantine, ça te va ici ?
J'approuve d'un signe de tête et le suis pour choisir, payer et réchauffer de sublimes pâtes industrielles.
Quand nous nous installons de nouveau, je remarque des personnes qui le suivent du regard. Alors, je prends le temps de le scruter plus attentivement. C'est vrai qu'il est plutôt beau, avec ses yeux marrons, sa mâchoire carrée et ses cheveux blonds coupés courts... et puis, c'est un alpha.
– Alors, parle moi un peu de toi, t'es du coin ?
– Ah ? Non, je viens d'un petit village perdu au milieu des montagnes. J'ai rejoint la capitale cet été, quand j'ai su que j'étais pris ici. Et toi ?
Je connais déjà la réponse, tout le monde sait qui est Pierre Conrad, petit-fils d'un ministre en activité et président du Bureau des Étudiants des Premières années ! Mais, comme ça me semble impoli de ne pas lui retourner la question...
– Ouais, moi j'ai toujours vécu dans le coin. Ma mère, mon père et ma grande sœur ont fait leurs études ici, du coup c'était une évidence pour moi ! Mais il faut avouer que je ne m'attendais pas à une sélection aussi rude !
Je ris en repensant aux examens passés quelques mois plus tôt.
– À toi aussi, ils t'ont demandé de t'imaginer en gomme ?
– Oh putain, la gomme !!
Il se met à rire à son tour, avant d'ajouter :
– Je t'avoue que la question qui m'a le plus surprise, c'était celle des légumes !
Il se redresse et ajuste sa veste. Pris dans l'ambiance, je l'imite et fais mine de mettre des lunettes invisibles. Nous nous regardons et, d'une même voix nasillarde, débitons « Pouvez-vous me dire quel légume vous êtes et pourquoi ?»
Nous nous esclaffons comme des gamins. Je me tiens le ventre des deux mains, sentant de légères tensions au niveau des mes abdos qui n'ont pas l'habitude de devoir supporter mon hilarité. Pierre est plié en deux et je le vois se redresser pour essuyer une larme qui menaçait de couler au coin de son œil. Nous échangeons un regard et repartons de plus belle dans un fou rire inarrêtable. Les regards qui commencent à se multiplier en notre direction m'obligent à me reprendre et je vois que Pierre a autant de difficultés que moi sur ce point. Ça fait tellement de bien de rire avec quelqu'un !
Une fois le fou rire parti, nous reprenons notre discussion plus calmement tout en mangeant nos pâtes. Je suis soulagé de me dire que je ne m'étais pas trompé en imaginant que nous pourrions être amis.
Malheureusement, Pierre est pressé et, bien trop vite à mon goût, je le vois se lever pour jeter ses déchets.
Mais alors que je pensais qu'il allait prendre ses affaires et partir, il se rassoit. Je le regarde, interloqué et sens qu'il vient de poser sa main sur la mienne. Il approche sa tête, comme pour me dire un secret et je l'imite.
– Je suis désolé qu'on ait pas pu plus parler aujourd'hui, mais je veux que tu saches que tu es le bienvenu chez moi si tu as besoin de quoi que ce soit. C'est pas loin d'ici, et tu peux tout à fait venir prendre une douche avant ou après les cours, et je peux même te prêter le lave linge ! Je ne dirais rien à personne, t'inquiètes ! Après tout, on est amis !
Il me fait un clin d'œil et m'ébouriffe les cheveux avant de se lever et de partir, sans oublier de me faire des signes de main en chemin.
Je regarde ma main toujours posée sur la table. Elle est légèrement plus chaude que l'autre mais là, c'est à l'intérieur de moi que j'ai froid.
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Scent of Love
Roman d'amourTrois mois après ses premières chaleurs, Nathan débarque à Paris. Mais alors qu'il pensait qu'une vie trépidante d'étudiant s'offrait à lui, il déchante en apprenant qu'il a une maladie rare qui rend ses phéromones malodorantes. En cherchant à se fa...