CHAPITRE 58 : Les bonnes raisons

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Je me sens seul. Ce qui me permet de me rendre compte que ça faisait longtemps que je n'avais pas ressenti ça à la fac. Tous mes cours du matin sont des TD et l'absence de Pierre se fait sentir. Je remarque quelques regards mauvais sur moi et je m'interroge : est-ce qu'ils osent me jeter ces regards parce que Pierre n'est pas là ? C'est vrai qu'il est populaire dans la promo et j'imagine que le côtoyer me protège un peu, d'une certaine façon... Ou alors est-ce qu'ils ont toujours été présents mais je les remarquais pas ?

Je ne sais pas trop quelle est la meilleure interprétation, toujours est-il que je suis gêné et que j'ai hâte de retrouver mes amis ce midi !


– Désolée, tu n'as pas attendu trop longtemps ?

Je me retourne vers Sophie, rassuré de ne pas avoir à manger seul. Je réalise que ça ne me gênait pas avant ...

– Non, non, je commençais juste à avoir un peu froid ! Tiens ? T'es toute seule ?

– Oui, les autres sont malades et il n'y a que moi. Ça te dérange ?

– Hein ? Quoi ? Non, pas du tout ! Je...

Le petit rire de mon amie m'interrompt et je me rends compte qu'elle se paye ma tête. Je me plains vaguement de sa coquinerie pendant que nous partons vers la cafétéria.

– Et donc, comment ça va avec Alec ?

– Hum... ça va bien. Et toi, avec Ejaz ?

– Ça va aussi.

Bon, bon, bon... Le silence qui s'installe est gênant et je ne sais pas comment rebondir. C'est la première fois que je suis seul avec Sophie et je me rends compte que nous n'avons jamais vraiment discuté.

– Et du coup, vous vous êtes rencontré dans un laboratoire, c'est ça ?

– C'est ça. J'avais rendez-vous pour parler de ma cacomistose et ça a été le coup de foudre.

C'est un mensonge. Enfin, pas vraiment, puisque c'est à ce moment que notre lien est apparu... Quoique... Si, c'est un mensonge.

– Ouah ! Et qu'est ce que tu aimes chez lui ?

Sa manière de me regarder et de me sourire avec tendresse ? Son rire et la petite fossette sur sa joue ? Sa folie et sa manie de tout mettre par écrit ? Son écoute et ses petites attentions à mon égard ? Ses grognements et sa façon de me prendre dans ses bras ?

– Je ne sais pas... Je dirais que je ne m'ennuies jamais quand je suis avec lui !

– Oh. Et tu l'aimes ?

– Je ne sais pas...

Je suis douloureusement confronté à la question que je prends pourtant soin d'éviter. Je suis perdu, je ne sais pas, je ne suis sûr de rien. Non, ce sont des mensonges... En vérité, je sais. Je sais et j'ai peur. Je poursuis :

– Je crois que je l'aime, mais je ne sais pas si c'est pour les bonnes raisons...

Sophie me scrute avec attention et je décide de porter mon regard sur mes mains serrées entre mes genoux. Elle ne dit rien, pourtant je sens qu'elle m'encourage à continuer.

– Je... quand j'ai dit que c'était le coup de foudre, j'ai pas été complètement sincère. En fait, je... je crois que je l'ai détesté à notre première rencontre. Ou en tous cas, il me faisait peur. À cause de... parce qu'on...

Je n'arrive pas à terminer ma phrase. Heureusement, Sophie reprend la parole :

– Ejaz t'a dit qu'on a mis du temps à se mettre ensemble, je crois ? Eh bah en fait, je ne l'aimais pas du tout au début. Il faisait du bruit, s'agitait dans tous les sens, m'empêchait de me concentrer et quand je m'adressais à lui, il m'ignorait et partait sans dire un mot ! Je te jure, j'avais des envies de meurtre !

Son histoire me fait rire, me sortant de ma morosité. Intéressé, je lui demande de poursuivre.

– Ensuite ? Je crois que tout a changé à l'arrivée d'Alix dans notre classe. C'était un coup de foudre amical et sa vivacité d'esprit a permis la création de notre groupe d'amis, obligeant Ejaz à parler avec moi. Je me suis rendue compte qu'il n'était pas que bruyant, mais aussi très mature et réfléchi. Plus on parlait, plus j'avais envie d'en savoir plus sur lui et j'ai fini par réaliser que ce n'était pas son côté turbulent qui me dérangeait, - il n'était clairement pas le seul à l'être -, mais le fait qu'il me rejette. Petit à petit, j'ai appris à le connaître et je suis finalement tombé amoureuse de lui.

Le sourire radieux qui illumine son visage finit par s'estomper, quand elle reprend :

– Pour en revenir à ton histoire, je ne sais pas ce qui te fait peur exactement mais, personnellement, je ne pense pas qu'il y ait de bonnes ou de mauvaises raisons d'aimer quelqu'un... Il n'y a que des pentes et des barrières et c'est à toi de voir si tu souhaites te laisser glisser, quitte à devoir briser des barrières en route, ou si tu préfères en attraper une en chemin et remonter la pente pour en essayer une autre.

Je reste silencieux, réfléchissant à ses paroles. Au bout de quelques instants, Sophie finit par se lever :

– T'as pas besoin de trouver une réponse dans la minute, hein ? Allez, on va être en retard en cours !

Je me redresse à mon tour et lui dit, avec une voix assurée :

– Je l'aime, j'en suis sûr !

– Hahahaha ! Eh bien t'as plus qu'à lui dire maintenant !

Je frotte mon épaule que mon amie vient de taper avec son poing et ne peux m'empêcher de sourire. Oui, j'aime Alec, même si je ne lui dirai pas tout de suite. Et c'est officiel, j'ai été adopté par Sophie ! 

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