CHAPITRE 96 : Souvenir

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Je crois que j'ai crié, ou du moins j'ai assez élevé la voix pour être devenu le centre d'attention de la clientèle et du personnel du restaurant. Le silence que j'ai provoqué atténue un peu ma colère et je me rassois. Respirer, je dois respirer. Je me masse les tempes alors que les bruits autour de moi reprennent. Je continue, calmement cette fois :

– Je vais être sincère : j'ai envie qu'on soit amis. J'ai envie qu'on puisse discuter comme avant. Mais je ne sais pas si je pourrais faire abstraction de tout ça et...

Je m'interromps alors qu'un serveur dépose un bâteau en bois rempli de sushis sur la table. Nous faisons de grands yeux devant la quantité hallucinante de nourriture et nous nous tournons vers Ejaz qui est mort de rire. Je pouffe et en prends un au saumon.

– Toi qui voulais un souvenir, en voilà un ! Tu sais, je crois que je pourrais ne plus t'en vouloir un jour. En vérité, vos magouilles à Alix et toi m'ont permis de faire la connaissance de personnes formidables et j'ai presque envie de vous remercier pour ça. Mais je réalise que ce qui me fait le plus peur, c'est de me dire que tu as pu vouloir faire du mal à la personne que tu aimes. Intentionnellement. Je ne connais pas votre histoire, mais si tu peux lui faire ça, alors tu peux le faire à n'importe qui. C'est ce que je me dis.

Je mâche et avale péniblement la petite boule de riz. Décidément, c'est vraiment pas mon truc. Devant moi, Pierre semble pensif et j'ai même l'impression qu'il a envie de pleurer. Il m'explique :

– Je ne peux rien te dire concernant ma relation avec Alix, à part que je l'aime de tout mon cœur et qu'à un moment, c'était si insupportable pour moi que je me suis mis à haïr chaque particule de son être. Moi aussi, je me suis senti trahi. J'ai cru me briser et j'ai enchaîné les mauvaises décisions. Tu en a pâtis et j'en suis désolé.

– C'est quelque chose que je ne peux pas comprendre.

Pierre glisse sa tête entre ses mains et j'ai une impression de déjà vu. Je repense à la dispute à laquelle j'ai assisté il y a quelques semaines. Qu'est-ce qui l'avait provoquée déjà ? Je n'arrive pas à m'en souvenir et la seule image qui s'impose à mon esprit est celle du corps tremblant d'Alix ce matin. Alors, même si je meurs d'envie de connaître leur histoire, je prends sur moi et relativise :

– En même temps, il faut avouer que je suis novice en amour. Et puis, Alec est parfait donc j'ai pas trop d'efforts à faire.

J'ajoute, alors que Pierre dégage son visage :

– Bon, peut-être pas parfait, mais pas loin. Disons qu'il y travaille. Et puis, je suis mal placé pour te juger, je me suis quand même barré une semaine sans rien dire à personne et sans même penser que ça pourrait inquiéter qui que ce soit. Donc bon...

– Toi aussi, tu as fait ce que tu as pu pour survivre.

J'ai soudain envie de pleurer. Comment il peut si bien me comprendre ? Je ravale mes larmes et me ressers un verre d'eau. Dans le fond, on n'est peut-être pas si différents ? Je me ressaisis et tente une parade :

– Pour en revenir à ton « maintenant », je t'avoue que je souhaite être aidé pour manger ces makis ratés qu'on appelle sushi. On propose aux autres de revenir ?

– Et en ce qui nous concerne alors ?

Moi qui pensais échapper à cette question... Je prends le temps de peser mes mots avant de répondre :

– Il y a beaucoup de choses qui m'échappent et le fait qu'Alix et toi gardiez vos secrets ne m'aide pas. Mais s'il y a bien une chose que je comprends, c'est que vous avez souffert et que j'ai été une victime collatérale. C'est pas cool, c'est vrai, mais si je dois être parfaitement honnête, vous m'avez aussi aidé, que ce soit par rapport aux cours, aux autres étudiants et même pour ma relation avec Alec. Je te l'ai dit, j'ai envie qu'on soit amis.

Le soupir de soulagement de mon interlocuteur me rassure en même temps qu'il m'agace, sans que je ne sache dire pourquoi. Je décide donc de le railler avant de faire signe aux autres de venir nous rejoindre :

– Et puis, il parait qu'Alec s'est chargé de me venger.

– Quoi ?! Alors sache qu'il m'a pris par surprise autrement...

– Vous parlez de quoi ?

Je ne laisse pas au blond le temps de parler, j'ai vraiment trop envie de le charrier. C'est mesquin mais j'ai besoin de cette petite vengeance personnelle.

– De la déculottée de Pierre par Alec.

– Hahaha ! Faut trop que je te raconte !

Et je laisse à Ejaz le soin de dérouler une histoire pleine de superlatifs et de mouvements exagérés qui fait rire tout le monde tant elle penche vers le fantastique. Je me sens mieux, plus léger et je suis certain de m'être fait un nouveau beau souvenir.

Scent of LoveOù les histoires vivent. Découvrez maintenant