Après cet entraînement, je retourne vers ma chambre pour attraper mon uniforme avant d'aller prendre une douche. J'ai tout juste le temps avant que les cours ne commencent. Espérer un petit-déjeuner serait cependant trop en demander. Je me contente d'avaler sur le chemin une barre vitaminée aux fruits secs avec quelques minuscules petites de chocolat bien cachées qu'a bien voulu me donner Morgane. Elle n'est pas très bonne, mais je suppose que c'est toujours mieux que de commencer la journée le ventre vide. Par contre, elle laisse des traces collantes sur mes doigts que je ne parviens pas à retirer avec mon kleenex.
Je soupire en parcourant les couloirs à la vitesse d'un petit vieux en déambulateur. Je croise quelques élèves qui se rendent gaiement à la cantine, frais et reposés après une bonne nuit de sommeil. Moi, j'ai passé une heure à m'agiter dans les airs sous la houlette d'une fée sadique. Le résultat : je ne maîtrise toujours pas le vol stationnaire. Si ce n'est pas la preuve que s'entraîner ne sert à rien... Je suis épuisé et j'ai des courbatures qui se forment un peu partout.
Je jette sombrement le papier de ma barre vitaminée dans une poubelle, juste à côté des casiers où sont déposés les courriers reçus par les élèves. J'y jette un coup d'œil par habitude, même si personne ne m'écrit jamais par voie postale. Maman préfère m'écrire des mails ou me téléphoner directement. Et je n'ai aucun autre correspondant régulier. J'échange des SMS de temps en temps avec mes anciens camarades de collège, mais je n'ai jamais été particulièrement proche de l'un d'entre eux, peut-être parce que j'étais obligé de leur cacher ma nature féerique et que j'avais donc l'impression de leur mentir sans arrêt.
Ce jour-là, cependant, je suis surpris de voir une forme rectangulaire dans le casier à mon nom. C'est une grande enveloppe blanche au papier épais. Il est écrit dessus, à la main "M. Vivien Guyonvarc'h, institut Merlin". Je m'en saisis malgré mes doigts poisseux. À la fois curieux et un peu inquiet, je m'empresse de déchirer l'enveloppe pour en sortir une feuille A4 noircie par la même écriture. Je me penche sur le texte pour le déchiffrer.
"Cher Vivien.
N'étant pas parvenue à vous joindre par téléphone, je me permets de me rappeler à votre bon souvenir. Je souhaiterais vraiment pouvoir vous interviewer au sujet de ce qui s'est réellement passé au sommet de la tour Eiffel. Cette interview pourrait prendre la forme d'une vidéo diffusée sur mon compte Youtube. Je suis bien sûr prête à partager les bénéfices entraînés par cette vidéo qui, je peux vous l'assurer, se révéleront conséquents.
Bien à vous.
Aurélie Blancard, journaliste indépendante
PS : vous pouvez me répondre en utilisant l'adresse au dos de l'enveloppe ou m'envoyer un SMS".
Je resserre mes doigts sur la feuille, la froissant. Mon souffle s'accélère et feue la barre vitaminée paraît toute prête à ressortir de mon estomac. Bon sang ! Pourquoi ne me laisse-t-elle pas tranquille, celle-là ? Ce n'est pas assez de dévoiler le contenu d'une conversation téléphonique privée sur TikTok ? En plus, elle cherche à m'acheter.
Cela dit, si j'avais touché dix centimes à chaque fois que quelqu'un regardait la vidéo sur la tour Eiffel, je suppose que je serais riche à l'heure actuelle. Même si j'ai bien conscience, comme le dirait Maman, que l'argent ne fait pas le bonheur. Oh, cela me permettrait sans doute d'acheter cette statue grandeur nature de Gérald de Riv que j'avais vue un jour dans la vitrine d'une boutique de jeux vidéo et que j'avais trouvée incroyablement cool. Même si je ne vais pas vendre le secret de l'existence des créatures surnaturelles pour une statue, même pour une statuette grandeur nature et particulièrement réaliste. Je ne saurais même pas où la mettre. Dans la maison que j'achèterai avec le reste de l'argent ? N'est-ce pas un peu excessif d'acheter une maison entière juste pour conserver une statue ? Ou alors (et cette idée fait certainement briller mes yeux) ou alors je ferais construire un musée entier dédié à The Witcher. Je pourrais déjà y exposer mes posters !
Je secoue la tête en me remettant à avancer. Je vais oublier cette lettre et mes projets muséaux. Oui, je vais faire comme si je ne l'avais jamais reçue. C'est le plus prudent. Cette journaliste indépendante finira bien par se lasser si elle n'a pas de nouvelle de ma part. Elle trouvera certainement une autre victime sur un autre sujet. Par exemple un chat capable de jouer du piano. Les chats ont toujours beaucoup de succès sur Internet. Plus que les garçons fées. Hop ! L'enveloppe termine elle aussi dans la poubelle de tri grâce au vol plané, pour une fois réussi, que je lui fais subir.
Arrivé devant ma chambre, j'ouvre la porte, l'esprit ailleurs. Et je me fige. Parce que la pièce est loin d'être déserte. Il y a d'abord Jérémie, ce qui n'est pas plus étonnant que cela, puisqu'il loge également ici, même s'il va généralement faire trempette le matin pour éviter que sa peau ne sèche. Plus important : sur Jérémie se trouve... Nour ! Et la vampire est très occupée à écraser ses lèvres sur celles de mon colocataire, sa jupe d'uniforme légèrement relevée.
J'essaie de battre précipitamment en retraite, mais le bruit d'ouverture de la porte a suffi à attirer l'attention sur moi. Deux paires d'yeux se braquent sur moi. Puis la jeune fille descend des genoux du triton à une vitesse surhumaine. L'instant d'après, elle est debout près du bureau, un livre à la main, comme s'ils n'avaient fait que réviser le plus innocemment du monde de si bon matin. Je découvre par la même occasion que les vampires sont capables de rougir. Curieux.
— Humgph, déclare-t-elle d'une voix si rapide qu'elle en devient incompréhensible.
L'instant d'après, Nour a disparu de la chambre.
Je reste figé dans mon coin, mortifié.
Bon sang ! Pourquoi est-ce que je n'arrête pas de tomber sur ce genre de scène ? N'y a-t-il pas une règle qui stipule qu'il faut mettre une chaussette sur sa porte quand on fait ce genre de choses, comme dans les séries américaines ? D'accord, ce n'était qu'un baiser. Mais un baiser plutôt chaud, car (pardonnez-moi ce détail), il me semble bien que Jérémie avait une main posée sur... sur la poitrine de Nour.
Mon visage chauffe et je m'empresse de chasser cette scène de mon esprit. Au fond, elle n'est pas pire que celle où j'ai appris que Morgane, ma propre sœur, ma jumelle, aimait embrasser les boutons.
Beurk beurk beurk.
— Je... bredouille Jérémie qui fait de son mieux pour éviter mon regard. Je vais... euh... prendre une douche ?
Voilà qu'il se met lui aussi à ajouter des points d'interrogation partout. Cette manie est peut-être contagieuse.
— D'accord ? je lui réponds, tout aussi embarrassé que lui par la situation.
Il quitte la pièce sans demander son reste.
Je me laisse tomber sur mon lit, oubliant momentanément mes propres projets de douche. Je secoue la tête pour me remettre les idées en place. Je ne devrais pas me sentir gêné. Je suppose qu'il est dans l'ordre naturel des choses que mon colocataire profite de mon absence pour inviter sa petite amie à une séance de fricotage. Toutes les personnes en couple doivent en faire de même.
Moi aussi je pose souvent mes lèvres sur celles d'Auguste. Mais guère plus. Enfin, parfois, il pose un doigt sur mes fesses. Oui oui. C'est déjà arrivé. Mais par-dessus le pantalon, hein ? Et pas longtemps.
Cette idée effrayante me glace à nouveau le sang. Et si Auguste était frustré de notre relation ? Il est vrai que nous ne sommes jamais allés plus loin que des baisers tout habillés (si on fait abstraction du jour de notre rencontre où, rappelons-le, je ne portais qu'un caleçon ridicule, ce qui a fait penser à mon futur petit ami que je me trouvais être un chaud lapin).
Ce souvenir me donne envie de cacher mon visage entre mes mains.
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Le lycée des Surnaturels (tome 2)
FantasyTome 2. La lecture préalable du tome 1 est indispensable. Après les événements de la Tour Eiffel, Vivien fait sa rentrée à l'Institut, plus stressé que jamais. Il doit faire face à ses actes en plus d'apprendre à contrôler ses nouveaux pouvoirs. Et...