Chapitre 55

951 150 46
                                    


Mon sang se glace.

Disparu ? Comment ça disparu ? Où est-elle ?

Maman secoue la tête dans tous les sens.

— Elle jouait gentiment dans le salon et, tout à coup, je me suis rendue compte qu'elle n'était plus là.

Elle se laisse tomber à plat ventre pour regarder sur le canapé, même si l'assise est trop basse pour qu'une petite fille puisse s'y cacher, à moins d'être très plate.

Je me tourne vers la porte d'entrée. Oriande est suffisamment grande, maintenant, pour pouvoir tourner les poignées. Si ça se trouve, agacée par Grand-mère, elle a décidé de partir faire un petit tour toute seule. Je ne pourrais pas l'en blâmer.

Je me tourne vers Mélu qui observe le manège de Maman depuis le canapé, le front plissé.

— Tu ne l'as pas vue sortir ?

Elle secoue la tête.

— Bah non. Je regardai Peppa Pig.

Au lieu de proposer des solutions, Grand-mère décide de s'en prendre à Maman.

— Ne pouvais-tu pas faire un peu attention à ta fille de dix-huit mois ? Tu as toujours été une mère irresponsable, Gwendoline. Sans doute parce que tu l'es devenue trop jeune. Je n'aurais jamais dû te laisser élever seule quatre enfants dans une ville lointaine. Vraiment...

Morgane finit par lui couper la parole.

— Vivien et moi allons survoler les bois au cas où elle y serait. Maman et Grand-mère, allez voir dans le village. Mélu, reste là au cas où Oriande reviendrait toute seule.

Je hoche la tête. Morgane a déjà sorti ses ailes avant même d'être dehors. Elle s'élance aussitôt dans les airs à une vitesse fulgurante. J'ignore comment elle s'imagine repérer un bébé. Le sol doit lui apparaître complètement flou. Je suppose que, à force de faire des courses, elle ne sait plus voler lentement. C'est heureusement un art que je ne maîtrise pas trop mal.

Conscientes de mon angoisse, mes ailes apparaissent aussitôt et se donnent beaucoup de mal pour voler droit. Le temps que j'atteigne l'orée de la forêt, ma jumelle a disparu à l'horizon. Je doute fortement qu'Oriande ait eu le temps d'aller aussi loin avec ses petites jambes. Elle sait sortir ses ailes, certes, mais ne parviens pas encore à les utiliser pour voler plus de quelques secondes.

Un vent glacial souffle autour de moi. Je frissonne. Dans la panique, j'ai oublié d'enfiler mon manteau.

J'ai atteint le niveau des arbres. Je vole le plus lentement possible, tournant la tête à droite et à gauche.

— Oriande ! je crie. Ori ! Où es-tu ?

Ma voix se perd dans le vent. Frileuses, mes ailes tremblotent mais ne faiblissent pas. Je replie les bras autour de ma poitrine pour tenter de me réchauffer.

Il n'est pas facile de reconnaître quoi que ce soit d'en haut. Il me semble que l'ensemble blanc que je viens de dépasser est le dolmen autour duquel Morgane et moi jouions au prince et à la princesse, quand nous étions enfants (j'étais le prince capturé par un dragon que Morgane venait délivrer. Ma jumelle n'a jamais voulu inverser les rôles).

Je fronce les sourcils en distinguant soudain une tache rouge sur ma droite. Une énorme tache rouge avec des points blancs et qui grossit à vue d'œil. Je m'en approche et j'utilise ma capacité toute récente pour le vol stationnaire. On dirait... On dirait... Oui... Cette... cette chose me semble être un champignon en train de pousser à une vitesse hallucinante. Plus précisément : il s'agit d'une amanite tue-mouches géante.

Je pique vers le bas et viens me poser au pied de ce monstre. Une énorme tige blanche d'un bon mètre de diamètre se dresse devant moi. Je reste bouche bée. J'ai l'impression d'avoir soudainement rétréci, comme si j'étais l'une de ces fées minuscules des dessins animés pour enfants. Ce champignon est si gigantesque que je pourrais le creuser pour en faire ma maison. Comme les Schtroumpfs, quoi.

Une petite chose rose apparaît soudain sur un bord grignoté. La tête d'Oriande. Elle me salue depuis le haut en criant joyeusement.

— Vivi !

Le soulagement se mêle à l'inquiétude. J'ai peur qu'elle tombe de cette hauteur vertigineuse et se fasse mal. Pour une fois, elle n'a même pas sorti ses ailes.

— Reste immobile, j'arrive.

Mes ailes rassemblent leur concentration. Je vais me poser sur ce champignon et redescendre en portant ma petite sœur. J'ai déjà volé en tenant un alpha, alors... Enfin, j'ignore si on peut qualifier cette sorte de chute plus ou moins maîtrisée de vol.

Un bruit de pétard mouillé se fait cependant entendre avant que je n'aie eu le temps de prendre mon envol.

Pfuuuuuuuu.

Le champignon se dégonfle à toute vitesse comme un ballon crevé tout en se tassant sur lui-même. Deux secondes plus tard, il ne fait plus que trois mètres de haut, puis un, puis seulement dix centimes, comme il sied à une plante de ce genre.

Oriande a sauté sur le sol, se plante sur ses petites jambes et écarte grand les bras, comme si elle venait de réaliser un numéro de cirque. Apparemment, elle s'attend à des applaudissements. Je claque deux fois dans mes mains, pour lui faire plaisir, et entreprends ensuite de la gronder.

— Tu ne dois pas partir toute seule comme cela, ni créer des champignons géants dans la forêt. Maman était très inquiète, et...

Les yeux de ma petite sœur se remplissent aussitôt de larmes.

— Nooon, Viviiii.

Elle se met à chouiner, ce qui fait fondre aussitôt toute ma sévérité. Heureusement que je n'ai pas l'intention de devenir parent un jour. Mes enfants feraient la loi.

Je la soulève et la serre dans mes bras.

— Allons, allons... Le principal, c'est qu'il ne te soit rien arrivé.

Je tape d'une main un rapide message à Maman, pour la rassurer, et un autre à Morgane, pour qu'elle arrête de jouer aux avions supersoniques au-dessus de la forêt. J'espère qu'elle le verra avant la tombée de la nuit.

Nous nous mettons en route vers le village à pied. Je murmure à ma petite sœur qui sanglote toujours des paroles apaisantes. La petite a agrippé ses doigts à mon pull.

Juste avant de quitter la clairière, je jette un dernier regard derrière moi. Le champignon a retrouvé sa taille d'origine et ne se dresse plus avec innocence qu'à quatre ou cinq centimètres du sol. Enfin, pour autant qu'une amanite tue-mouches puisse être considérée comme innocente. N'oublions pas que ces plantes-là sont empoisonnées.

À même pas deux ans, Ordiande a réalisé un exploit magique dont toutes les fées ne sont pas capables. Elle sera une fée très puissante plus tard. Plus que Maman. Plus que Morgane. Et plus que moi, bien sûr (ce qui n'est pas un exploit). 

Le lycée des Surnaturels (tome 2)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant