AMBRÛME : Le sang des Trémel

Épilogue : Le serment d'un Protecteur

J'avais un père, une mère et deux sœurs. Le premier est mort en défendant sa cité, la deuxième a perdu la vie pour sauver la mienne et les deux dernières ont disparu dans la tourmente. Comment puis-je tenir encore debout alors que j'ai tout perdu ? J'erre parmi les ombres. J'en serai bientôt une à mon tour...

                               Sylvène de Trémel, Général Protecteur, Humain

À chaque fois, l'histoire se répétait. Le brouillard s'estompait autour de son esprit, chassant le sommeil. Il ouvrait les yeux, désorienté, cherchant à comprendre où il se trouvait. Puis, implacablement, les événements passés rattrapaient sa conscience et la folie s'emparait de lui. Il hurlait, se relevait violemment et tentait de quitter l'endroit où on l'avait installé. La haine et la vengeance consumaient son cœur. Il devait bouger, il devait retrouver celui qui était à l'origine de ses malheurs ! 

À chaque fois, les réactions étaient les mêmes. Des mains l'immobilisaient, des muscles le clouaient à son lit de fortune et l'obligeaient à se rallonger tandis que des bouches chuchotaient des paroles apaisantes et rassurantes à son oreille. Il avait beau crier, insulter, se débattre, promettre mille récompenses ou mille tortures, rien n'y faisait. Il était toujours là, allongé sur des couvertures, incapable de reprendre le contrôle de ses gestes. Ses ongles griffaient et raclaient la pierre et le tissu. Son corps se tordait dans tous les sens. Sa voix s'éraillait un peu plus à chaque cri. Les larmes de douleur et de colère trempaient sa couche. Les heures passaient, mais il tenait bon, continuant de lutter jusqu'à ce que le sommeil le fauche sans prévenir. 

À son réveil, la fois suivante, tout recommençait. Personne n'acceptait de le libérer. Personne n'arrivait à faire quoi que ce soit pour faire disparaître sa souffrance. Combien de fois le cycle se répéta-t-il ? Six, dix, vingt fois ? Il n'aurait su le dire. Le brouillard qui s'estompait, les événements passés, les cris, la douleur insurmontable, puis de nouveau le sommeil, tout vint à se mélanger et se confondre, en une danse macabre.

Après une éternité, Sylvène ouvrit les yeux. Le calme était revenu dans son corps, le laissant allongé, immobile. Le sang pulsait lentement, régulièrement, à ses oreilles. C'était le seul son qu'il percevait autour de lui. Le Général contempla la voûte rocheuse au-dessus de sa tête. Son incroyable fureur semblait s'être volatilisée, tout comme son chagrin. Il ne ressentait plus rien. Il avait l'impression qu'il ne pourrait plus jamais hurler ou pleurer. Les événements étaient toujours présents dans son esprit, mais cette fois-ci, il les observait avec un étrange détachement. 

Meryl se précipitant pour attraper Faéline et l'arracher aux Créatures. Aurora les abandonnant au village des artisans, prête à tenter l'impossible pour les sauver. Sa mère le regardant avec de grands yeux vides et froids. Démos, Gredan et les jumelles l'empêchant de partir à la recherche d'Arkivas. 

Les images étaient là, toujours aussi violentes, toujours aussi destructrices, mais il n'arrivait plus à y réagir. Il regardait en boucle l'enchaînement d'actions, cherchant avec perplexité le tourbillon d'émotions qui l'avait habité. Alors il se laissa flotter, sa mémoire dérivant lui rappelant au fil des heures tout ce qu'il avait pu vivre depuis le bannissement de sa sœur avec une extrême méticulosité.

Enfin, sans qu'il sache pourquoi, Sylvène sentit la vie refluer dans son corps. Ses doigts s'agitèrent, ses jambes tressaillirent, des bribes d'émotions s'éveillèrent au plus profond de lui. De nouveau maître de son corps, il ressentit la douleur physique. Il était perclus de courbatures et de crampes. Il se sentait malmené, couvert de bleus et de meurtrissures. L'ancienne blessure de son bras pulsait, se rappelant à son bon souvenir, et se lever semblait au-dessus de ses forces.