Le passé qui revient

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Il y eut comme long soupir de soulagement. Le curé Therrien se déplaça vers le cercueil et joignit les main pour faire une courte prière. Il prit une profonde respiration et ouvrit la bouche pour commencer la célébration.

Une des portes s'ouvrit avec fracas, créant un immense vide dans l'atmosphère de sérénité qui avait commencé à s'étendre parmi les intimes et amis. Toutes les têtes se tournèrent vers l'origine de ce chahut. Comme le soleil brillait de tous ses feux, il y eut un moment où la personne qui venait de faire une entrée plutôt remarquée n'était qu'une ombre mouvementée dans les étoiles de poussière qui flottaient dans l'air. Mais la porte se referma tout doucement et l'ombre se transforma en une personne qui apparaissait plutôt comme un spectre venu d'un autre monde.

Bérengère Lavoie trempa ses doigts dans l'eau du bénitier et fit une grimace en se signant, comme si le geste et l'eau lui brûlait tout le corps. Elle ne retira pas ses verres fumés en avançant d'un pas nerveux dans l'allée, les chevilles tordues dans des souliers à talons hauts tout droit sortis d'une autre époque. Elle souriait bêtement alors qu'elle s'avança vers la première rangée de bancs sans même saluer les gens qui n'en revenaient tout juste pas.

Cette femme avait tout un cran de se présenter ainsi après tant d'années d'exil. Le premier à s'en insurger fut son propre fils, Cédric, qui se leva, raide comme une barre d'acier et serra les poings. On crût un moment qu'il allait faire une esclandre mais il traversa les espaces entre les bancs pour finalement se placer devant elle, les mains bien appuyées sur le dossier où se tenait son indigne de mère et lui parla à voix basse pendant un instant.

Pour la famille, ce fut évident un énorme choc de revoir cette femme qui fut brièvement la deuxième épouse de Georges. Ces deux-là s'étaient rencontrés peu de temps après la mort de Thérèse, lors de l'exposition agricole de St-Hyacinthe en 1975. Veuf depuis un an à peine, Georges, sur les conseils du curé Ouellette et du maire Horace Pelletier, effectua ce voyage pour se changer les idées et surtout pour se renseigner sur les nouvelles technologies de l'avenir. Une fois sur place, il se trouva davantage attristé de voir toute cette foule s'amuser alors qu'il sentait encore le parfum de tendre aimée à la vue de la moindre fleur. Il parcourut les kiosques des exposants de la foire, assista aux démonstrations des nouveaux appareils mais ne manifesta aucune joie particulière à être dans ce monde. Et puis, il était terriblement inquiet pour la santé mentale de Serge qui ne pouvait être à la charge de sa soeur pendant une trop longue période de temps. La pauvre fillette de quatorze ans, même si elle était d'accord pour que son père mette deux-cent-soixante-dix kilomètres entre lui et la maison où il avait vécu tant de malheurs ces derniers temps, ne pouvait pas non plus se mettre sur les épaules tout le drame que vivait son frère depuis les derniers treize mois. Certes, les visites de Jean-François commençaient à faire leur effet mais le climat dans la maison était des plus fragiles et il ne voulait pas que sa fille aussi devienne aigre et déprimée.

Le deuxième jour, alors qu'il sortait d'une impressionnante démonstration d'une moissonneuse-batteuse, il prit la décision de faire ses bagages et de rentrer avant la tombée de la nuit, raccourcissant son séjour d'une journée. Il avait eu des crampes au ventre toute la journée et il se sentait extrêmement fatigué. Il avait l'air d'avoir soixante ans alors qu'il allait fêter son 46e anniversaire dans quelques semaines. Il marchait la tête basse, perdu dans ses pensées, lorsqu'il entra en collision avec une femme qui trimballait des cabarets de maïs soufflé et des boissons gazeuses. Évidemment, ce fut un désastre qui les laissèrent tous les deux imbibés de sucre et de sel. Il se confondit en excuse mais la femme riait à gorge déployée, un rire qui ressemblait plutôt à celui d'une hyène, ce qui stupéfia Georges.

- Comme taureau, il ne se fait pas mieux, on dirait! avait-elle dit en épongeant sa poitrine mouillée. Georges, encore sous le choc, regardait la manoeuvre sans s'en rendre compte, hypnotisé par la taille de ces seins qui contrastaient avec la taille très fine de la femme. Tu fonces dans le monde comme ça tout le temps ou tu es saoûl?

Le silence des blés d'orOù les histoires vivent. Découvrez maintenant