Le sens de la vie, selon JF

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Jean-François poussa un soupir et eut soudain l'envie de s'enfuir le plus loin possible de cette maison. Il se demandait ce qu'elle avait entendu de cette conversation, surtout les derniers mots qui avaient peut-être ouvert une plaie qui avait peine à se refermer.

- Je ne joue pas à rien. Je veux simplement savoir.

Avéline se plaça entre eux, mais focalisa son regard sur son frère.

- Tu n'as pas besoin de savoir quoi que ce soit. Ce qui se passe ou ne se passe pas entre JF et moi n'est pas de tes affaires. Un point et c'est tout. Je ne veux pas que tu m'embêtes avec ta recherche de la pure vérité, ou que tu achales ton meilleur ami jusqu'à ce qu'il se retrouve dans un coin et veuille s'enfuir la queue entre les jambes.

Serge voulut s'excuser, mais, pour une fois, ne trouvait pas les mots.

« Pourquoi ne vas-tu pas faire une petite promenade de méditation jusqu'au fond du terrain ? J'ai besoin de parler avec JF et ça presse. »

Serge baissa les yeux, vaincu et enfonça ses mains dans les poches serrées de son jean. Il sortit et s'engagea sur le chemin longeant les champs pour disparaître au tournant. Il ne se tourna pas une seule fois.

Le silence entre Jean-François et Avéline habitait toute la pièce. Il était lourd et chargé de colère et de désespoir.

- Pourquoi ne pourrais-tu pas m'aimer ? dit-elle enfin avant qu'il tente de s'expliquer. Mets ton habit de religieux de côté pendant un moment et regarde-moi en face. Pourquoi m'as-tu toujours ignorée ?

Le prêtre fit un pas en avant pour se rapprocher d'elle. Il aurait aimé la prendre dans ses bras et la rassurer. Au fond de lui, il savait qu'il l'aimait, et ce, depuis longtemps. Mais, il ne pouvait se l'avouer vraiment. Alors que, plus jeune, il cherchait un sens à sa vie, il se découvrit une passion pour comprendre la vie en général, la vie sur terre au regard de cette puissance externe qu'il sentait vivante et présente en lui et autour de lui. Pour lui, se donner à cet amour pour une fille aussi passionnée qu'Avéline, c'eût été une trahison dans tout ce qu'il croyait. Ce dieu qui s'était imposé à lui petit à petit, il ne l'avait pas invité ou cherché. C'était un appel plus profond que cela. Comment pouvait-il l'expliquer aux gens autour de lui et à Avéline particulièrement ? Le seul moyen de le faire, c'était d'en faire l'étude, de pénétrer la mystique de cette religion millénaire, de rencontrer ces personnages de la bible, pour y trouver toutes les explications. Il aimait cette femme, mais au même titre que toutes les âmes qu'il croisait sur son chemin.

Cependant, les années s'étaient écoulées trop rapidement après les études, après son ordination et après s'être retrouvé dans la paroisse voisine à servir les fidèles. Il apprit à les aimer. Il connut cette extase de se trouver au cœur de cette petite communauté afin de servir son dieu. Malgré le fait que l'intérêt pour la religion diminuait de plus en plus : on n'y retrouvait que de vieilles personnes et quelques jeunes retraités. On se cherchait un peu de spiritualité dans le monde frigorifié des réseaux sociaux et de l'instantanéité vite consommée et oubliée.

Il ne portait plus la bonne nouvelle. Il ne chantait plus la gloire de Dieu. Il se contentait de parler de cette vocation comme si ce n'était qu'un souvenir poussiéreux d'une autre ère. Malgré cette jeune cinquantaine, il se sentait tel le dernier dinosaure du Jurassique, à piétiner le passé dans l'espoir de le raviver d'une parole magique.

Le pire, c'est qu'il n'avait jamais trouvé cette réponse qu'il cherchait, c'est-à-dire de donner un sens à la vie, de la comprendre et de partager ce bonheur qu'il n'avait jamais trouvé. Il en était venu à penser, dans les moments le plus creux de cette introspection, qu'il aurait mieux fait d'aimer une seule personne, en chair et en os, plutôt que de tenter d'aimer comme l'enseignaient les bonnes paroles. Pour lui, c'était un grave péché, bien pis que de se livrer à des ébats sexuels pour le simple plaisir de la chair. Ses doutes le rongeaient. Depuis quelques mois, il songeait à tout abandonner et partir en voyage afin de mettre cette longue parenthèse de sa vie derrière lui. Il vivrait peut-être en ermite, mais il le ferait libre de ces chaînes auxquelles il s'était fourré les poignets et les pieds.

Le silence des blés d'orOù les histoires vivent. Découvrez maintenant