Cédric aimait la vue depuis le condo de Jean-Patrick. D'un seul coup d'œil il pouvait admirer le fleuve, la Rive-Sud, certains édifices qui ceinturaient l'immeuble. Même s'il ne comprenait pas ce besoin d'être toujours au cœur de cette masse grise et froide qu'était le centre-ville de Montréal, il prenait un certain plaisir à s'y retrouver, de jour comme de nuit.
Jean-Patrick lui ouvrit la porte et l'accueillit avec sa bonhommie habituelle.
- Tu en as mis du temps. Tu fais du tourisme à la con, tabernacle ? lança-t-il en embrassant son collègue sur les joues.
Jean-Patrick vivait au Québec depuis vingt ans. C'était un parisien qui avait échoué à Montréal suite à une peine d'amour (une autre) et une opportunité de mettre à profit ses talents d'animateur numérique. Dessinateur hors pair, il savait créer des univers fantastiques avec des personnages qui envoûtaient les joueurs de la série vidéo InnerEarth, un jeu qui connaissait un succès international. Il aimait se moquer du franc parlé québécois et « tabernacle » était devenu son patois favori, qu'il jugeait branché, malgré les remontrances que lui faisaient ses amis à ce propos. Cédric détestait lorsqu'il jurait de la sorte, jugeant que cette moquerie était mal placée et inutile, voire désuète.
Leur association remontait à quatre ans alors que Cédric cherchait un artiste pour son développer son application mobile. Jean-Patrick était un boulimique de travail. Déjà fort occupé dans son poste de directeur de production, ses fonctions de story-boards et son obsession pour continuellement renouveler le genre, il avait accepté de travailler les soirs et week-ends sur le projet de Cédric. Ce dernier venait de fonder sa petite boîte de conception, en sortant de l'école où il avait rattrapé le temps perdu, suite à ses mésaventures avec le monde des gangs et ses démêlés avec la police.
Le projet, cependant, n'avançait pas assez vite à son goût. Le financement ne venait pas aussi facilement que planifié et il avait senti un peu de relâchement dans l'enthousiasme de Jean-Patrick, suite à sa ixième rupture amoureuse.
- Je te remercie de me permettre de cannibaliser ton espace, vieux. J'ai des problèmes et je ne savais pas où aller. Comment vas-tu ?
Jean-Patrick lui tendit une bière. « Ça ne pourrait pas aller mieux. Au boulot, les mecs du paradis sont de plus en plus nerveux pour la version 5. Il y en a un qui a même osé demander qu'on devance la date de la mise en marché, pour battre la deuxième mouture du Chevalier Rouge. Imagine ! On est déjà à bout de souffle et là il faudrait doubler d'effort seulement pour devancer ces crétins de SoftOrb ! Je les encule, ses amateurs. Le Chevalier Rouge n'est en rien comme InnerEarth. Alors, je leur ai dit de bien se huiler le pouce et de se l'enfoncer jusqu'aux couilles parce qu'il n'y a aucune chance que je pousse mon équipe à remettre une version inférieure à la quatre, tu vois ? »
Il parlait si vite que Cédric avait peine à suivre ses propos. Il n'osa pas demander s'il avait un peu avancé sur son projet. Il lui annonça pourtant l'arrivée prochaine de fonds inattendus.
- Avec ça, on va pouvoir être un peu plus à l'aise, dit Cédric. Tu crois que ce sera suffisant pour se rendre à terme ?
- Assurément, mon cher Cédric. Par contre, il faudra que tu me donnes un peu d'espace pour respirer. Avec le départ de Perle, j'ai perdu un peu de mes repères et je veux me concentrer sur le boulot en cours. Mais dès que ce projet-là sera complété, je prends un mois de congé et je planche sur ton truc.
Cédric n'était pas certain s'il devait s'en réjouir. Cela reporterait son projet à la fin d'octobre. Mais, il était trop fatigué pour en discuter avec Jean-Patrick. Ce dernier traînait les quelques bagages de Cédric dans la chambre d'ami et revenait en se frottant les mains.
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Le silence des blés d'or
General FictionÀ la mort de son père avec qui il a vécu toute sa vie, Serge, autiste, hérite de la terre familiale, une ferme centenaire qui a connu de meilleurs jours. C'est une surprise à laquelle personne ne s'attendait. Bien vite, les membres de la famille, le...