Jeux d'antans

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Avéline rejeta cette accusation du revers de la main. Il lui jeta un regard qui n'augurait rien de bon pour la suite. Il dit aux enfants de ramasser leurs choses, car ils allaient manger au restaurant avant de retourner au motel.

Il quitta la maison sans lui dire au revoir ou l'embrasser. Elle ne parut pas s'en offusquer.

– Des fois, là, dit-elle quand la porte se referma, j'ai vraiment l'impression de vivre avec un borné de maudit anglais. Vous ne pouvez pas savoir comment c'est pincé là-bas. J'ai beau m'éreinter le rictus à force de courbettes et de pseudo copinage franco-ontarien, je me sens toujours comme une petite crotte de souris sur un plaid écossais. Ils me regardent avec le petit maudit nez en l'air, comme si je sentais le vomi. Même ses parents, qui me traitent la plupart du temps comme si j'étais leur fille, me font des airs parfois qui m'inquiète.

– Bienvenue dans le club des rejetés, ma sœur qui n'en est pas une. On fait un beau trio, nous trois.

– Aux « rejects »! trinqua Avéline en frappant sa bouteille de bière contre celle de Cédric.

Serge restait silencieux, hochant à peine la tête. Une ombre de sourire passa sur son visage, par pure politesse. Il entendait encore les derniers mots de Gill concernant Chantal. Il ne pouvait pas dire qu'il la détestait, pas plus ni moins qu'avant, après cette démonstration un peu troublante d'amour sur son lit. Il la trouvait très gentille. Serviable, attentive, elle savait lire ses besoins, lui posait les bonnes questions et savait s'effacer quand il voulait avoir un peu d'air pour respirer. Jamais, elle ne s'était vraiment manifestée pour témoigner de cette passion pour lui. Il s'en doutait, mais n'arrivait pas à en cerner les véritables contours.

Si elle était amoureuse de lui, pourquoi, se demandait-il, ne le lui avait-elle pas dit? Il ne détesterait pas l'avoir avec lui ici à la maison. C'était bien ce qui avait été négocié avec elle, mais qui était maintenant impossible, du moins du point de vue d'Avéline. Et pourquoi cette dernière avait-elle réagi aussi intensément à cette mise en scène lubrique au cours de laquelle rien d'autre que l'exposition d'un corps nu a été commise. Est-ce que le souvenir de sa mauvaise conduite avait encore cet effet traumatisant qui l'avait secouée il y a plus de trente ans? Il ne trouvait pas de réponse et il aurait aimé pouvoir en parler avec elle, mais Cédric n'était pas près de partir puisqu'ils avaient prévu de passer la soirée et la nuit ensemble pour mettre toutes ces émotions derrière eux une fois pour toutes.

– Bon, je commence à avoir faim, moi, déclara Cédric qui venait de terminer sa dernière bouteille. Moi, boire sans manger, c'est une assurance pour que je « crash » sur le sofa d'ici une heure et je vais être le gars le plus plate de la planète. Alors on commande de la pizza hawaïenne ou une poutine italienne familiale?

– Tu es franchement dégueulasse, dit Avéline. Tu sais que je déteste les ananas sur une pizza et la poutine, c'est un clou de cercueil plus dangereux qu'une cigarette.

– Les maudits ontariens, ça manque de goût et de classe. Ils ont déteint sur toi, Avéline. C'est dommage. Tu fais l'amour sur le dos, les jambes serrées maintenant, je te gage.

Elle le frappa d'un bon coup de poing sur l'épaule : « Va chier, Cédric Éthier. C'est toi qui n'a pas de classe. Et puis, moi, au moins je suis mariée. Je ne cours pas après des filles qui ont encore des marques de couche imprégnées sur leur tour de taille.

– Ouch! Tu fesses fort, sœurette. Pour ça, tu vas être obligé de payer la pizza et la poutine, même si tu n'en manges pas.

Ils se chamaillèrent tandis que Serge se dirigeait vers la porte-fenêtre, les mains dans les poches. La nuit tombait. Le ciel avait pris une teinte indigo avec un trait orangé au-dessus des blés.

Le silence des blés d'orOù les histoires vivent. Découvrez maintenant