Faux départ

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Lorsque Bérengère Lavoie était sortie du bureau du notaire Magnan, elle était tellement en furie qu'elle en vit des étoiles. Elle chercha la voiture de location pendant quelques secondes, ne se rappelant plus quelle était la marque ou la couleur. Elle appuya sur le bouton de déverrouillage des portières et vit le clignotement des feux arrière avant d'aller se réfugier dans l'habitacle. Il y faisait une chaleur si intense qu'elle faillit s'évanouir. Elle ouvrit les glaces et respira l'air qui lui semblait plus frais. Elle tira la cigarette électronique de sa sacoche et respira la fumée artificielle à pleins poumons, histoire de décompresser.

Elle rageait. De quel droit cet imbécile de Georges venait-il s'immiscer dans sa vie après toutes ces années? Pourquoi avait-il soulevé cette pierre sous laquelle elle avait enfoui ses plus horribles souvenirs?

Elle n'avait jamais été sûre à 100 % que le père de l'enfant qu'elle portait était de Georges, car dès qu'elle avait quitté le motel où elle avait passé la nuit avec ce pauvre veuf désemparé, elle était retournée dans les bras de Jacques Jodoin, le seul gars avec qui elle se sentait libre. Jodoin était dans sa vie avant même que son premier mari ne meure. Elle l'avait rencontré dans un bar et était tombée amoureuse de ce gars de moto, qui adorait la chasse, la pêche et les jolies femmes. Loin de vouloir s'accrocher avec ce type pas très recommandable aux yeux de tous, Bérengère aimait son petit côté aventureux et ses « Ça te tentes tu de... » qu'il lui sortait à chaque fois qu'ils prenaient une bière ou un bon Scotch.

Elle aimait Jodoin parce qu'il ne la tenait pas pour acquise. Elle le laissait la séduire, jouant la veuve éplorée avant même que ce fût une réalité, une comédie qui tournait toujours en partie de plaisir dans la cabine de son camion ou dans une cabane après une randonnée en moto.

Si elle s'était laissée entrainer bien malgré elle dans cette folle aventure d'un soir avec Georges, c'est parce que Jodoin avait osé proposer un trip à trois avec sa cousine, Josée Tousignant, le matin de l'exposition agricole. Josée avait mal réagi, comme de raison, mais il avait insisté, posant même un geste qui faillit tourner au drame. Bérengère lui avait demandé de partir et de les laisser tranquilles. Elle ne trouvait pas cette blague de bon goût et en avait assez de ce comportement enfantin de la part de Jodoin. Sauf qu'elle savait bien qu'elle le retrouverait plus tard dans la soirée au bar ou encore le lendemain, histoire de le laisser mijoter dans ses remords.

La rencontre fortuite de Georges, qui n'était pas un de ces affreux fermiers qui portent un parfum de fumier ou qui n'ont pas d'éducation, et qui, du reste était plutôt beau bonhomme, tombait à pic. Elle allait se payer du bon temps et s'en tenir à ça. Petite vengeance qui serait aussi bienvenue lorsqu'elle retrouverait son amant en mal de baisers et d'autres fanfrelucheries.

Ce fut donc Jodoin qui vint la cueillir le lendemain après qu'elle l'eût tiré de sa nuit de célibataire frustré. Il se jeta littéralement sur elle et sentit sur sa peau l'odeur de sexe laissé par la nuit qu'elle avait passée avec cet inconnu. Ils allèrent directement chez lui, un appartement plutôt miteux situé au-dessus d'un garage de réparation de carrosseries où il bossait de temps en temps pour renflouer son compte de banque.

Il se jeta sur elle comme un animal en rut après qu'elle se fut douchée consciencieusement. Elle avait déjà oublié ce qu'elle avait fait la veille avec Georges Éthier et c'était mieux ainsi.

Or, quelques semaines plus tard, en constatant que ses règles tardaient, elle se montra inquiète. Elle se refusait à croire qu'elle puisse être enceinte, elle qui avait tant espéré que son pauvre mari puisse lui faire un enfant. Lorsqu'elle ressentit les premières nausées, il n'y avait plus de doute : elle attendait un enfant.

Après s'être fait confirmer cet état par des tests et une rencontre avec un médecin, elle se décida enfin à aller voir Jacques Jodoin pour lui annoncer la bonne nouvelle. Mais il ne l'entendit pas de la même façon :

Le silence des blés d'orOù les histoires vivent. Découvrez maintenant